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Un second morceau a pour titre : Vivants. Il oppose aux agitations et aux mouvements du monde la fière solitude du poète :


Oui, je comprends qu’on aille aux fêtes,
Qu’on soit foule, qu’on brille aux yeux,
Qu’on fasse, amis, ce que vous faites,
Et qu’on trouve cela joyeux ;
Mais vivre seul sous les étoiles,
Aller et venir sous les voiles
Du désert où nous oublions,
Respirer l’immense atmosphère,
C’est âpre et triste, et je préfère
Cette habitude des lions.


Ce lion a ses colères, que l’âpre atmosphère de l’exil a fouettées, et son indignation vengeresse s’est traduite dans les Châtiments, dont voici un écho attardé, violent et injuste, mais quelle verve dans la satire !


Je me souviens du temps de mes illusions,
Je voyais ces hiboux au milieu des rayons.
Que c’est doux d’être jeune et charmant d’être béte !
Sainte Beuve était beau, Nisard était honnête.
C’était un plaisant tas de drôles contrefaits.
O gratteurs de papiers ! picoreurs de buffets !
Ils se sont tous vendus et Piétri sait les sommes.
Ils s’affirmaient géants pour se passer d’être hommes.
De leurs difformités ils faisaient leurs grandeurs.
Il semblait que la gloire eût dit à ces laideurs :
O boiteux, sois Tyrtée ! ô bossu, sois Ésope !
Le borgne n’était pas borgne : il était cyclope.
Oh ! ces orgueils de nains et ces cœurs de laquais.
C’est bien, tombez encore ; ayez, ô misérables,
La bohème de moins et le Sénat de plus.


Au milieu de ces morceaux dont le développement est déjà poussé assez loin, Victor Hugo a semé pendant six semaines dans son carnet des rimes, des citations, des relevés de comptes, des réflexions, tout le travail d’un esprit et d’une imagination qui sont en ébullition constante. Si riche qu’il soit, il ne veut rien perdre. Quand une rime curieuse s’offre à lui, il la note :