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Dans la nuit du 7 au 8, un cauchemar :

Vite, on me prend : on m’installe.
On fait grincer sur moi la serrure fatale.
M’y voilà, c’est fini. — Meurs là, dit le Tyran.

Le sommeil du 8 mars n’est pas stérile, mais le poète ne retrouve pas au réveil un vers qu’il lui a inspiré. Ne partageons pas son regret, puisqu’il nous a valu un dizain admirable par l’image et par l’expression.

À cette heure de nuit où l’homme vague et trouble,
Chair, âme, entre la terre et le ciel se sent double,
Quelquefois, à l’instant où je vais m’endormir,
Où tous les flots de l’ombre en moi viennent frémir,
Une idée apparaît à mon esprit, et passe.
Ou quelque vers profond serpente dans l’espace,
Espèce de poisson ondoyant du sommeil :
Un moment je l’admire, étrange, obscur, vermeil,
Et, si je veux le prendre, il fuit, se mêle aux ombres,
Et s’enfonce à jamais dans les profondeurs sombres.

9 mars 1856.

(Après avoir perdu cette nuit un vers que je regrette.)

Je groupe ici trois morceaux, incomplets ou sujets a révision, mais qui se suffisent à eux-mêmes.

Le poète est effrayé à l’idée que les tyrans font douter de Dieu : il a un accès de misanthropie et de scepticisme :

Je ne le cache pas, oui, je vis aux écoutes ;
Il me vient quelquefois des soupçons ; j’ai des doutes ;
Rien n’est vrai ; le soleil ment et n’est qu’un doreur ;
Il semble par moments que tout devienne horreur,
Et que le mal grandisse, et que le monde sente
Une difficulté de respirer croissante,
Et, portant les Néron, les Timour, les Omar,
Râle de plus en plus sous Satan cauchemar.

Mais il s’arrache vite à ce doute et il note en prose qu’il s’est ressaisi : « Je secoue les spectres ; je sors de ce nuage et je revois la vérité, Dieu éternel, progrès, confiance, lumière. »