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siècle, est étonnante, comparable seulement à la faculté, qui lui est propre, d’une répétition indéfinie des mêmes actes, et les deux phénomènes se tiennent. L’Allemand sort aujourd’hui de ses universités tel qu’autrefois il sortait de ses forêts : il n’y a gagné que sa morgue pédantesque et des lunettes d’or. Habillez l’Allemagne en empire ou en république : ce sera toujours l’Allemagne.

Par ces exemples pris parmi beaucoup d’autres, des manigances de son gouvernement impérial-démocratique, des manœuvres conjuguées du docteur Soif, de M. Ebertet de M. Haase, des socialistes majoritaires et minoritaires, de Hindenburg et des faux bolchevistes, des Soviets mixtes d’ouvriers et de junkers, on voit que la situation de l’Allemagne, juridiquement indéterminée, est politiquement suspecte. Elle ouvre et ferme tour à tour tous les tiroirs de sa diplomatie cauteleuse. Tour à tour elle rompt et essaie de reprendre du champ de piège en piège. Cela n’est pas très périlleux, si nous sommes bien résolus à ne pas desserrer notre étreinte. Les renseignements sur l’état dans lequel rentrent les armées en retraite ne s’accordent guère : les uns dépeignent une discipline parfaite, les autres une affreuse débandade; il est vraisemblable qu’il y a des deux, selon les temps et les circonstances. Mais on peut bien admettre que toutes sont à bout d’haleine. Et d’ailleurs ne perdons pas de vue que les nôtres, victorieuses, ne sont plus sur la Somme ou sur l’Aisne, mais sur le Rhin, avec des têtes de pont par-delà, aux points vitaux, et que nous sommes ou que nous allons être à Budapest, à Prague, et, si nous le voulons, à Vienne; de toutes parts, nous passons à l’Allemagne une ceinture d’acier. Le plus urgent est que l’armistice s’exécute, et qu’il s’exécute dans toute sa teneur, qu’on n’y souffre ni accrocs ni écarts, et que, par une sensibilité, émue à tort, dont nous serions les dupes, il n’y soit apporté nul adoucissement. C’est dur? L’Allemagne croit-elle donc qu’à côté d’elle, on soit sur un lit de roses?

Il n’y a pas, entre elle et nous, toute la largeur de l’Océan. Nous ne pouvons pas dire pour la France ce que Pétrarque a dit pour l’Italie, que « la nature a bien pourvu à notre État qui a mis entre nous et la rage allemande le rempart des Alpes. » Cent invasions ou tentatives, dont la série se perd dans la nuit des âges et n’a jamais été close, établissent surabondamment que le contact est dangereux. L’Allemagne est un voisin auprès duquel on ne peut vivre les portes ouvertes. On dirait qu’elle-même en a comme une conscience vague, appliquant, prêtant au prochain ses inquiétudes et ses défauts. Il lui a toujours fallu autour d’elle, ou devant elle, des marches ou des