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On juge, par-là, de la consternation dans laquelle la nouvelle de la blessure de ce dernier jeta tant de personnes. A peine la chose se connut-elle dans toute l’armée que les officiers et les soldats témoignèrent par leur attitude désolée de l’attachement qui les liait à un capitaine qui s’était toujours montré si bienveillant et si bon pour eux. Mme de Sévigné devait écrire plus tard, à propos de Turenne, frappé par un boulet à Salzbach, que « les larmes et les cris faisaient le véritable deuil » d’une armée que le maréchal avait conduite partout à la victoire. Eh bien ! pour Castelnau, il en fut de même en cette heure funeste. Aussitôt qu’ils apprirent l’arrivée du blessé, le Roi et le cardinal tinrent à honneur de se rendre sans tarder auprès de l’illustre compagnon de Turenne. A peine furent-ils entrés qu’ils l’aperçurent étendu de tout son long, le P. Cannet à sa droite et le chirurgien Le Roy à sa gauche. Et le lieutenant-général, pour faire honneur à ses hôtes, n’eut pas plutôt reconnu le monarque et Son Eminence qu’il se leva comme il put sur un coude et dit, comme par raillerie, tant il savait commander à son mal, en montrant le jésuite et le chirurgien : « Votre Majesté, Sire, croit bien que j’ai fait en ma vie des voyages plus agréables, ayant aux portières de mon carrosse deux objets qui inspirent de si étranges pensées et qui appréhendaient que je mourusse en chemin. En vérité, on fait en tiers un méchant personnage avec de tels Messieurs. »

Pilet de La Mesnardière écrit, dans sa Relation, que, du moment de son arrivée à Calais, le lieutenant-général « y languit près d’un mois entre l’incertitude de la vie et de la mort. » La difficulté venait de ce qu’on ne pouvait retrouver la balle qui s’était allée malignement loger auprès de la colonne vertébrale. Et l’on peut dire que, du moment où il fut atteint jusqu’à l’instant de sa mort, laquelle survint le 15 juillet 1658, il endura les maux les plus extrêmes et subit les tortures les plus cruelles qu’il soit permis à un blessé de supporter. Mais lui, comme jadis Montluc, disait qu’il est beau pour un soldat « de mourir au lit qu’on appelle champ d’honneur. » A M. le cardinal Mazarin, qui le venait voir tous les jours, au nom du Roi et au sien propre et ne cessait de lui reprocher avec affection l’imprudence qui l’avait conduit à se porter si près du fort Léon, il répondit tranquillement qu’il n’avait fait que son devoir : « J’ai cru, ajouta-t-il, qu’il était du mien de