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décidé de prendre contre Monsieur le Prince et don Juan d’Autriche. A l’effet de prévenir tout mouvement de l’ennemi, Turenne fit travailler aux retranchements des Dunes une partie de la nuit, dressa lui-même le plan de bataille et ne s’endormit sur le sable, enveloppé de son manteau, qu’après s’être assuré de la sûreté du bagage et de l’ordre des troupes.

A peine le jour se fut-il levé, au matin du 14 juin, et le vicomte de Turenne, monté sur son cheval pie, on justaucorps de velours noir et le bâton en main, eut-il donné le signal que, sur tout le front de bandiere, « depuis le flot de la mer jusque dans cette prairie qui joint le canal de Furnes, » on aperçut l’armée des Français et des Anglais qui se mettait en marche. Celle-ci était extrêmement ralentie par l’effet du sable ; et l’on peut dire qu’il y avait bien de l’audace à M. de Turenne d’avoir choisi, pour attaquer, un terrain aussi mouvant.

Les Dunes, en cet endroit, forment des mamelons et des ravins si cahotés que les bataillons et les escadrons s’y trouvaient élevés ou abaissés suivant les dispositions de terrain les plus opposées les unes aux autres. Les formations de bataille s’en trouvaient contrariées dans plus d’un point ; mais les officiers veillaient si bien à leur alignement que, malgré la difficulté du sol, elles se maintenaient régulières et dans un ordre si admirable « qu’elles paraissaient avoir été tirées au cordeau. » Cette régularité et cette discipline étaient nécessaires, si l’on voulait que l’aile droite, commandée par le marquis de Créqui et l’aile gauche, commandée par le marquis de Castelnau, tous deux lieutenants-généraux, ne vinssent pas à se rompre dans les Dunes.

Le vicomte de Turenne, général de bataille, se tenait donc au centre pour maintenir l’une et l’autre ailes sur celle ligne qui partait de la mer pour joindre le canal de Furnes. A cet effet, l’armée ne mit pas moins de trois heures pour parcourir la demi-lieue qui devait l’amener en vue de l’ennemi ; mais, quelque soin que prit M. de Turenne de maintenir cette ligne parfaite et comme rigide, le terrain mobile et glissant ne permit pas partout la même avance.

Encore que Bussy, à la tête du régiment de Grammont et de Royal-cavaleris, eût rompu à peu près l’infanterie de Monsieur le Prince, ce dernier, par la manœuvre la plus hardie qui fût, donna à son adversaire une réplique si vive que M. de