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la plus hasardeuse et, Bossuet l’a dit, la plus disputée qui fut jamais, s’acheva si bien à l’avantage des Français que M. de Castelnau, encore que les chirurgiens désespérassent de le sauver, trouva, tant il avait de grandeur d’âme, assez de force encore pour faire taire sa douleur.

Emus de ce spectacle et de l’exemple d’abnégation que le blessé offrait à toute l’armée, le vicomte de Turenne et le duc d’Enghien résolurent de ne pas se séparer de lui et de l’emmener avec eux à Philippsbourg. Installé sur un brancard, précédé du drapeau blanc que le Roi lui avait donné, M. de Castelnau, porté par les soldats du régiment Mazarin, quitta le lendemain Allerheim, passa devant Nordlingen où les troupes le virent. A peine parut-il sur le front de bandière que ceux des officiers qui le reconnurent, enlevant leurs chapeaux, saluèrent d’un geste large ; en son honneur, les fifres jouèrent, les tambours battirent ; les cornettes de cavalerie, à mesure qu’il passait en vue des escadrons, inclinèrent les étendards.


III. — LOYALISME, INTRÉPIDITÉ, GRANDEUR D’AME ET VALEUR DU VAINQUEUR DES DUNES

Dans l’Oraison funèbre que Fléchier consacra, plus tard, à la mémoire de Turenne et que Mme de Sévigné trouvait si belle qu’il n’y avait rien, dans ce genre, qu’elle plaçât au-dessus, le futur évêque a dit, avec beaucoup de bon sens, que ces vertus de son rang, ces qualités de son état dont était doué le vainqueur du Rhin, suffisaient à faire de Turenne un héros accompli ; « si, dit-il, son portrait était moins beau, je produirais ceux de ses ancêtres. »

Le mérite de tels hommes, si supérieurs, réside en effet dans leurs actions particulières bien plus que dans toutes celles qu’on pourrait montrer de leurs aïeux. Ceux de M. de Castelnau, à l’égal de ceux de Turenne, sont d’allure fière et de beau maintien. Et d’abord, au-dessus des autres, il y a l’aïeul paternel du maréchal, Michel de Castelnau. L’historien Le Laboureur a relaté les précieux services que ce sagace et adroit diplomate a rendus à son pays au XVIe siècle ; et, dans une dédicace à Jacques de Castelnau, il a pu écrire, en établissant un rapprochement entre le grand-père et le petit-fils, qu’à « l’honneur de tant d’ambassades, » feu le gouverneur de