Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



ODILON REDON


La ténèbre pour toi fut pleine d’épouvante
Car son ombre livide a pris forme à tes yeux,
Redon ! Tu la peuplas d’êtres mystérieux
Tels que ceux que la fièvre en son délire invente ;

Noir royaume qui va de Piranèse à Dante,
Tout un monde mêlé de larves et de dieux,
Tu l’évoquas de ton crayon prestigieux
Par qui le cauchemar devient chose vivante ;

Mais soudain le caveau s’entr’ouvre et s’illumine ;
L’oiseau chante et voici la lumière divine
— La sombre Sycorax est mère d’Ariel, —

Et soudain, sur le seuil où rampe la Furie,
Tu parais en tenant une gerbe fleurie
De toutes les couleurs de la terre et du ciel.


K.-R. ROUSSEL


Les dieux ne sont pas morts puisque l’homme est vivant.
Ils glissent dans la brise et passent dans le vent ;
Les soirs et les matins sont pleins de leurs haleines,
Leurs voix parlent dans les sources et les fontaines,
Et c’est par eux que tout est si mystérieux !
Leur peuple nous observe avec des milliers d’yeux
Ouverts sur nous avec la nuit ou la lumière ;
Il en est dans les eaux, il en est dans la pierre,
Dans la flamme, dans les feuillages et partout.
Ils s’effacent, puis nous surprennent tout à coup
Dans l’aurore aussi bien que dans le crépuscule
Et dans l’ombre où leur foule innombrable circule.
La Naïade se baigne à la source où tu bois
Et le Faune t’épie à la corne du bois ;
Le galop du Centaure en l’écho se répète.
Nul ne les voit, sinon le peintre ou le poêle,
Et pourtant ils sont là, éternels, familiers,
Dans les champs, près du fleuve, au détour des halliers.