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— Entre son mari, un grand Allemand à lunettes, barbu, parlant haut, avec des gestes ! Ah ! la Comédie ! Ah ! Molière ! Ah ! Shakspeare ! Très complimenteur et cordial.

Je regarde la Reine. Le sourire de cette vieille femme grasse, lourde, appuyée comme sur une béquille, sur une canne à bout de caoutchouc, est charmant et l’œil est doux encore, caressant. Enveloppée de laine blanche, enrhumée, le nez bourbonien rougi par le coryza, elle garde du charme. Il est éloquent, ce sourire que Tassaert fixait jadis dans un dessin (que j’ai). Je regarderai le portrait de la Reine jeune.

Je demande, en m’excusant, ce que sont ces drapeaux. L’Infante se lève, les déploie, me dit :

— Ce sont les armes de Castille !

Et la Reine :

— L’un est un drapeau du sacre de mon fils, — l’autre un drapeau venu de Cuba !

Et mélancoliquement elle me parle de sa douleur. Cuba ! Les Philippines ! Comme je lui rappelle que les États-Unis, sous son règne, voulurent les acheter :

— Oui, me dit-elle (et là je retrouve l’Espagnole et la souveraine), mais je répondis : Où trouvera-t-on un Espagnol pour rédiger l’acte de vente et une main espagnole pour le signer ?

Puis, nous parlons de Hugo, d’Hernani, de Rostand, de l’Espagne, de Don Quichotte, mon livre préféré.

— Ma mère, dit l’Infante, ne l’aime pas beaucoup. Elle lui reproche de ridiculiser les romans de chevalerie qu’elle aime tant !

— Oui, me dit la Reine, Cervantès fait brûler des livres de chevalerie que j’adore !

— Eh ! madame, il est chevaleresque, il est déçu, mais il les brûle comme on brûlerait des lettres d’amour !

Et alors, le sourire vraiment charmant de tout à l’heure illumine, rajeunit cette figure de vieille femme grasse qui, toute grosse qu’elle est, a de la majesté, et dans le regard de la bonté.

Elle se lève, se fait hisser par sa fille pour me dire au revoir debout, quand je prends congé.

— Revenez me voir !

Je lui baise la main, je promets encore d’envoyer à Madrid à l’Infante, qui part, les documents sur Marie de Neubourg, et je