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22 août 1888.

On est passablement inquiet. Crispi s’entretient à l’heure qu’il est avec Bismarck en Allemagne. De quoi s’entretient-il ? De la France, il serait puéril de se le cacher. Je ne sais pas, mais un vent de guerre me semble se lever. Ce Crispi est l’agent provocateur de l’Allemagne.

Hier l’Indépendance imprimait : En Allemagne, administration, armée, tout semble dire : c’est pour demain.

On prétend que ce mot a été dit : 1889 verra la revanche des rois ! C’est possible. Toujours est-il qu’il est sinistre, ce jeune empereur, se dressant sur son cheval de guerre, criant la paix et préparant la guerre, prêt à déchaîner le massacre, le feu, les ruines, à jouer contre les individus le jeu du premier criminel venu qui tue et qui pille. Ah ! les rêves, les rêves de paix, de fraternité ! C’est effrayant comme tout s’écroule, et je suis navré à l’idée de ce qui peut arriver. Quand ? — Dans six mois, dans un mois, dans huit jours, demain !


3 mai 1890.

Galliffet, au diner Bixio, a été bien intéressant. Souvenirs de guerre, histoires d’amour, les belles, les balles, le plaisir, la revanche, il a tout conté, évoqué, et jusqu’à onze heures nous sommes restés là, écoutant, revoyant l’Empire, la Barucci, Marguerite Bellanger, Anna Deslions, la duchesse de Castiglione, belle jadis, si belle, folle aujourd’hui, espionne et courtisane, et le prince de Galles, et Bismarck, et l’armée future :

— « Si notre stupide presse ne parle pas trop, si l’on ne marchande pas trop l’argent à Freycinet, dans trois ans l’Affaire est faite ! »

Il l’a bien dit, ferme, le visage impassible, culotté, la moustache encore noire, barrant sous un nez fin, un nez qui est un bec, un visage imbriqué couronné de courts cheveux blancs, très droits.

Et les renseignements sur le Mont-Saint-Michel, à Toul, un fort éclairé à la lumière électrique ; sur une véritable ville souterraine construite à Verdun, sur des canons qui bombardent de 7 à 11 kilomètres ; sur les Allemands qui cherchent avec du goudron et du pétrole à faire des nuages factices pour marcher à l’abri (ô Macbeth ! ô Shakspeare !).