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gigantesque coûte beaucoup de sang, de notre noble et précieux sang allemand. Mais ce sang n’aura pas coulé en vain. Par lui sera créée la base sur laquelle nous bâtirons l’édifice national… »


Voilà les bruits qui courent en Allemagne au lendemain d’un succès comme celui du Kemmel.et voilà les admonestations que la presse est forcée d’adresser au public.

Les affaires de Russie et d’Ukraine occupent alors l’attention. Comme les céréales attendues ne sont pas venues, et que la population ukrainienne témoigne aux Allemands une hostilité toujours croissante, le général Eichorn s’est décidé à un coup d’État, il a renversé la Rada et donné le pouvoir à l’hetman Skoropadzki. Protestation des socialistes allemands, — protestation de pure forme, car, si le gouvernement de l’Hetman facilite la sortie des blés, peut-être pourra-t-on éviter la diminution de la ration de pain : le peuple se moque du reste.

Cependant l’offensive est encore une fois arrêtée devant Locre, comme devant Villers-Bretonneux ; l’avenir parait de moins en moins sûr en Ukraine, en Pologne, en Finlande ; les raids aériens se multiplient sur les villes du Rhin ; la ration de pain est diminuée ; le fiasco de la guerre sous-marine devient plus évident ; une grande effervescence règne parmi les politiciens berlinois, Erzberger attaque à la fois Hertling et les généraux… Aussi, quand les communiqués annoncent que le Chemin des Dames a été enlevé, que les armées ont traversé l’Aisne, passé la Vesle, atteint la Marne, tous ces succès rapides et éclatants n’excitent-ils qu’une joie modérée. Les rédacteurs militaires des journaux peuvent insister sur la merveilleuse habileté des généraux, la richesse du butin conquis, la légèreté des pertes. La foule reste tiède : elle en a déjà tant lu, de ces relations de victoires, glorieuses et inutiles !

Un journal socialiste viennois, l’Arbeiter Zeitung (1er juin), résume admirablement la situation : « Une fois de plus, les troupes allemandes marchent de victoire en victoire, mais l’enthousiasme provoqué par ces succès est infiniment moins vif et moins unanime que naguère ; l’espoir de mettre fin aux hostilités par un triomphe militaire s’est si souvent révélé trompeur que même les plus brillants succès ne semblent pas autoriser l’attente d’une paix prochaine ; les tristes expériences du passé ont convaincu la nation que jamais ses dirigeants ne