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une courte prolongation de la guerre permettra d’obtenir tous les avantages que l’on souhaite à juste titre ; du reste, le peuple allemand peut patienter, heureux de ne pas avoir l’ennemi chez soi et d’ignorer les horreurs de l’invasion. Le peuple ne se laisse point convaincre. L’hiver s’annonce très rigoureux. Les premières mesures de rationnement ont mal réussi. Les gains scandaleux réalisés par les fournisseurs de guerre et les accapareurs excitent le mécontentement et la rancune. Enfin, en considérant cette « carte de la guerre » que les dirigeants leur remettent toujours sous les yeux, les gens vont répétant : « A quoi bon de nouveaux sacrifices, puisque nous sommes partout victorieux ? »

C’est alors que l’Allemagne se divise en deux grands partis qu’on peut appeler le parti de la guerre et le parti de la paix. Leur conflit résumera toute l’histoire intérieure de l’Allemagne. Ils n’ont rien de commun avec les partis politiques représentés dans les assemblées des États confédérés et dans le Reichstag. Ces derniers, avant la guerre, étaient des groupements factices qui déjà répondaient mal aux nuances de l’opinion. Depuis août 1914, ce ne sont plus que des étiquettes. Seul, le parti conservateur montre une certaine unité de pensée. Mais les nationaux libéraux sont devenus des « nationaux » tout court, et le libéralisme est le moindre de leurs soucis ; le Centre est coupé en deux tronçons qui se réunissent seulement dans les cas où il s’agit d’exercer un chantage sur le gouvernement ; les progressistes se confondent avec les socialistes gouvernementaux ; quant aux socialistes, c’est précisément dans ces dernières semaines de 1915 qu’ils se partagent en deux fractions : les majoritaires qui serviront le gouvernement tantôt par leur docilité, tantôt par leurs incartades, mais qui le serviront toujours, et les minoritaires dont l’emploi sera d’inspirer aux bourgeois une épouvante salutaire et aux socialistes de l’Entente une confiance absurde. Hors les politiciens et les badauds de Berlin, l’Allemagne ne s’intéresse pas à cette comédie parlementaire. Elle n’a point de véritable parlement, elle le sait mieux que personne, et s’accommode du régime présent conforme à son tempérament et à ses intérêts ; les plus audacieux se contentent de murmurer « qu’on verra après la guerre. » La question de la paix est la seule dont elle s’occupe, et c’est la seule sur laquelle elle soit partagée.