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aucun écho dans la masse de la nation. Ce qui empêche le peuple de se réjouir, ce n’est pas qu’il réprouve les annexions, ce n’est pas qu’il regrette la déconfiture des diplomates, c’est que dorénavant la grande offensive est fatale. En effet, le 7 mars, la Kœlnische Zeitung annonce formellement : « Nous prendrons l’offensive vers l’Ouest. » Même mot d’ordre dans toute la presse : l’attaque est imminente.

Cependant, les jours passent et les communiqués sont muets. Les préparatifs militaires ne sont-ils pas achevés ? Les dictateurs rencontrent-ils une dernière résistance dans l’entourage de l’Empereur ? Ou bien jugent-ils que l’opinion n’est pas assez ferme pour supporter les vicissitudes inévitables de la grande bataille ? Cette dernière hypothèse est la plus vraisemblable, car, après avoir annoncé, — par ordre, — que la lutte est sur le point de s’engager, la presse reçoit brusquement une autre consigne. Elle doit avertir le public que, sans doute, Hindenburg attaquera, mais qu’il n’est pas pressé et saura choisir l’heure opportune. Les critiques militaires et les correspondants de guerre sont invités à répandre la nouvelle que c’est l’ennemi lui-même qui se prépare à attaquer. La manœuvre est claire. Il s’agit de persuader les Allemands qu’ils font toujours une guerre défensive et que, s’ils sont obligés à de nouveaux combats, c’est uniquement pour parer les coups de l’ennemi.

Le 22 mars, l’armée allemande part à l’assaut des positions anglaises.


VICTOIRE ET ENTHOUSIASME

Dès les premières nouvelles, souffrances, doutes, lassitude, tout paraît oublié. Deux jours durant, la presse est obligée de retenir l’opinion, dans la crainte que celle-ci n’exagère encore une fois ses espérances. Mais les armées avancent avec une rapidité foudroyante, le nombre des prisonniers grandit d’heure en heure. L’enthousiasme se déchaîne. Croyant déjà sa proie sous sa griffe, l’Allemagne remplit le monde de ses cris de triomphe. La nouvelle que Paris est bombardé par des canons à longue portée transporte de joie les Berlinois, et le Vorwærts lui-même ne cache pas son admiration pour un pareil exploit : « Les conséquences de cet événement, dit-il, sont incalculables.