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d’autres partisans moins candides. Ceux-là n’ont jamais cru que l’Entente fût disposée à des négociations immédiates ; mais, pensent-ils, si, à Brest-Litowsk, l’Allemagne sait jouer habilement des deux formules « sans annexions, sans indemnités, » et « droit pour les peuples de disposer d’eux-mêmes, » elle s’assurera, dans l’Est, de grands avantages politiques et économiques ; puis, se retournant vers l’Angleterre, elle pourra lui faire, sur la question belge, des concessions telles que la « paix générale » deviendra bientôt une réalité. Cette politique, — celle de Kühlmann, — se résume ainsi : annexons le moins possible, créons-nous des vassaux dont la fidélité soit strictement garantie, donnons-nous toutes les apparences de la modération, ensuite, contre l’abandon de quelques-unes de nos prétentions dans l’Ouest, nous obtiendrons, avec la paix, le droit d’exploiter tranquillement la Russie.

Kühlmann retrouve autour de lui tous ceux qui naguère ont soutenu Bethmann et, d’ailleurs, ne l’ont pas empêché de tomber : les désabusés de la guerre, les gens de finance, quelques socialistes : mais il lui vient aussi un appui nouveau d’une partie de la classe ouvrière. Si le peuple allemand est rebelle à la contagion maximaliste, la révolution russe n’en a pas moins modifié les sentiments des socialistes extrêmes. Les plus internationalistes des révolutionnaires allemands ont servi la cause de l’Empire par haine et par terreur du tsarisme. Le tsar disparu, et surtout depuis que le pouvoir appartient aux Soviets, la guerre est pour eux sans raison, sans objet.

Les partisans de la « paix séparée » n’ont que faire des combinaisons des diplomates. La destinée des peuples de la Livonie, de la Courlande, de la Pologne leur est indifférente : aux politiques de la régler, comme ils voudront, mais après que les frontières de l’Empire auront été élargies et fortifiées par de bonnes et solides annexions. Alors l’Allemagne, ayant les mains libres vers l’Ouest, pourra en finir avec l’Entente. C’est la thèse de Hindenburg et de Ludendorff, elle implique le projet d’une grande offensive sur le front français. Les généraux groupent autour d’eux les conservateurs auxquels ils assurent le maintien de leurs privilèges, les pangermanistes auxquels ils garantissent des conquêtes, la masse de la nation à laquelle ils promettent la victoire et une paix rémunératrice.

Dès la fin de novembre, la partie est engagée entre le