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les mains de la France. De la frontière suisse à la frontière hollandaise, le Rhin, déjà atteint à Brisach sous Richelieu, à Strasbourg sous Louis XIV, redevenait la limite des deux Nations, comme il était, à travers tous les avatars, resté la ligne sensible qui séparait deux races et presque deux humanités.


VI. — LE RÉGIME FRANÇAIS

Les provinces rhénanes ne pouvaient être réunies dans de plus favorables circonstances. La paix de Lunéville, — plaçant l’Autriche plus bas encore que celle de Campo-Formio, et préparant par son humiliation la dissolution du Saint-Empire, — brisait toutes les espérances que pouvaient garder depuis 1792 les quelques Rhénans restés pénétrés par le germanisme ; en fait, la couronne de Charlemagne revenait de Vienne à Paris ; elle allait se poser sur la tête de celui qui, ainsi que le grand Empereur, réunissait sous le sceptre des Francs l’Empire romain d’Occident. Tout naturellement, les légions du nouvel Empire reprenaient la garde au Rhin qu’avaient montée celles d’Auguste.

La question religieuse qui, depuis 1792, avait, — plus qu’aucune autre, — entravé le mouvement d’adhésion cordiale, n’existait plus. Bonaparte venait de conclure ce concordat qui, en ce pays extrêmement catholique, cette ancienne « rue des Prêtres » devait, plus qu’en bien d’autres provinces françaises, de l’aveu de Chaptal quelques mois plus tard, « singulièrement fortifier » l’attachement des habitants.

Sans doute les impôts allaient être augmentés ; mais la suppression aussitôt décrétée des dîmes, droits et corvées, provoquant la joie générale, compensait largement cette aggravation de charges publiques ; d’ailleurs pratiques et réalistes, les Rhénans apercevaient, sous un gouvernement bien organisé, mieux que sous le Directoire incohérent, les avantages qui résultaient pour eux de ces impôts même ; avant quelques semaines, les préfets étaient à l’œuvre ; les routes s’allaient créer, les monuments s’élever ; et par ailleurs, n’était-ce point en partie à l’entretien d’une armée que ces impôts allaient passer, qui, plus qu’aucune partie de la République, protégerait la marche de l’Est ?

Enfin ces Rhénans aspiraient depuis des années à la justice, et