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Un jour qu’un baron, trouvant songeur le jeune prince Philippe, — le futur Philippe Auguste, — l’interroge : « Je pense à une chose, répond-il, à savoir si Dieu m’accordera, à moi ou à l’un de mes hoirs, d’élever la France à la hauteur où elle était du temps de Charlemagne. » Ce que j’ai ailleurs appelé « le rêve des Capétiens » tient en cette parole[1]. Et c’est bien un pressentiment, chez le futur vainqueur de Bouvines, de ce dont sa race va faire l’objet essentiel de son grand travail.

Rêve d’une dynastie ambitieuse, dira-t-on, atteinte « d’impérialisme, » ajouterait quelque partisan de la plus petite France. Ah ! que non ! Pour si peu qu’on puisse, pendant les sept siècles qui vont suivre, sonder l’opinion française, on s’aperçoit que, bien loin d’entraîner derrière eux une nation, les rois sont, tout au contraire, portés par elle. Cette magnifique race de Capet qui, par un travail séculaire dont la persévérance sans exemple a mis si haut notre pays, ce n’est point, certes, diminuer son mérite que de dire que toutes les fois qu’ayant étendu vers l’Ouest, le Sud-Ouest, le Sud-Est, vers l’Océan, les Pyrénées et les Alpes le domaine français, elle a entendu l’étendre à l’Est, elle a été soutenue, acclamée, poussée vers la reconquête du domaine jadis perdu. Il n’est pas indifférent que, contre l’empereur Othon, Philippe Auguste ayant levé l’oriflamme royal, la première union sacrée se soit faite sous lui entre les classes de la nation ; il n’est pas indifférent que le soir de Bouvines, Paris se soit illuminé spontanément comme il ne l’avait point fait pour d’autres victoires ; il n’est pas indifférent que, dans ces jours, la nation ait eu le sentiment que l’on était aux prises avec l’ennemi national, l’ennemi essentiel, l’usurpateur des terres franques d’entre Argonne et Rhin. Il est moins indifférent encore que, de Bouvines à Denain, six siècles durant, les victoires contre l’Allemand aient toujours été les plus populaires.

Plus spécialement il est remarquable que ce ne soit point parmi les grands que l’idée de récupération des territoires perdus soit née, ait grandi, se soit fortifiée. Le légiste Pierre Dubois, qui, dans les premières années du XIVe siècle, pousse

  1. Je me permets, encore que la chose soit toujours un peu impertinente, de renvoyer à un petit livre récemment paru. l’Expansion Française, où j’ai redit le constant effort de vingt rois de France pour récupérer la rive gauche du Rhin ; il me dispense d’insister beaucoup ici sur ce chapitre de cette chronique.