Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— de Bâle, à Aix-la-Chapelle, qu’en paix se tiennent les écoles où fleurissent les lettres latines, qu’en paix le colon trace son sillon et qu’en paix le poète accorde son luth, Charles étend au pays des Saxons la marche d’Outre-Rhin : Thuringiens et Bavarois ayant été matés par son père, il entend, lui, mater le Saxon et y emploie la majeure partie de son règne. Dès 772, il a pénétré dans le pays Saxon Angarien, a enlevé le camp d’Ehresburg, a détruit l’idole fétiche d’Irminsul qu’on dit consacré à la mémoire d’Hermann, vainqueur de Varus et, par ce dernier geste, a semblé, plus qu’aucun roi franc depuis deux siècles, assumer la tâche essentielle : la défense, — au besoin agressive, — de la Romanie, devenue Francie, contre le barbare d’Outre-Rhin. Trois campagnes ne suffisent pas : victoires de Sigebourg, de Buckholz, de Verden, de Detmold finissent par réduire à merci le Saxon ; Witikind, champion du Germanisme irréductible, est obligé enfin de courber la tête. Une armée de prêtres, romains accompagne l’armée des soldats francs ; l’offensive est ainsi prise sur tous les terrains ; le Saxon, — vrai ancêtre de l’Allemand, — dès qu’il a reconnu dans Charles la force invincible, se courbe bien bas en effet ; acceptant le baptême, il le sollicite au besoin deux fois, quitte, lorsque Charles est occupé ailleurs, à relever la tête et à trahir ses serments, car, « autant, écrit Eginhard, témoin du règne, ils étaient empressés à contracter des engagements, autant ils se montraient prompts à les violer. »

Telle attitude contraint Charles à une rigueur impitoyable ; elle le contraint aussi à déplacer le siège même de l’Empire. C’est à Aix-la Chapelle que, couronné Empereur romain en 800, il réside de préférence. De là il surveille de plus près toute cette ligne du Rhin, — souci principal et principale pensée du règne. Le symbole, c’est, sur le palais impérial bâti par lui, cet aigle d’or qui, les ailes étendues, fait face à l’Est, menaçant à la tourbe des peuples d’Alemanie, éclatante affirmation de la mission de Charles, roi des Francs, empereur romain. Et quand le vieil empereur à la barbe fleurie est mort, c’est à Aix-la-Chapelle qu’il est, sur son désir, enseveli, face encore à la Germanie ; on dit que, revêtu des insignes de l’Empire, il restait assis sur son trône comme pour se pouvoir plus facilement remettre debout si le Germain, — battu, écrasé, avili, soumis, — faisait mine de se rebeller encore.