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leurs compatriotes la réunion à « la mère patrie, » ils avaient pu, sans paraître donner la moindre entorse à l’histoire, s’écrier : « Par notre union avec vous, vous acquerrez ce qui de droit vous appartient. La nature elle-même a voulu que le Rhin fût la frontière de la France ; il l’était en effet, dans les premiers siècles du royaume de France. » Et telle devait être l’opinion accréditée à travers l’Allemagne elle-même, puisque, clamant le premier que le Rhin était « fleuve allemand et non pas frontière de l’Allemagne, » Arndt, en 1813, accusait lui-même le caractère absolument insolite de cette affirmation en ajoutant amèrement : « Beaucoup d’Allemands ont trouvé cette frontière naturelle vraiment toute naturelle. »

« Il a tenu dans notre verre ! » La voix frémissante de Musset s’élève, évoquant César, Condé, Napoléon ; il peut en évoquer bien d’autres, — et la grande ombre de Charles, roi des Francs, qui, dans son palais d’Aix-la-Chapelle, montait la Garde au Rhin contre les Saxons vaincus et frémissants.

La Garde au Rhin, — pour tous pendant des siècles, c’est en effet contre le Barbare de la rive droite qu’elle se monta. César ouvre cette histoire. « César, lit-on, dans les Commentaires, vit le péril qu’il y avait pour la République à laisser les Germains s’habituera passer le Rhin… » L’intérêt de la République romaine était d’accord en la circonstance avec les craintes des Gaulois de la rive gauche. C’est la « question du Rhin » qui posa celle de la conquête des Gaules et puisque les Gaulois se sentaient trop faibles pour opposer sûre barrière aux Suèves, il fallut bien que le proconsul se fit conquérant. Est-il étonnant que, la conquête faite, ce fût dans la région du Rhin que le Romain, de préférence, installât, avec ses légions, cette autre barrière à la Barbarie qu’est la Civilisation ?

Qui de nous, visitant des monuments aux musées, ces cités rhénanes, n’a été frappé de ces vestiges de romanisation, tels que, dans les limites de la Gaule, la seule Provence en renferme de plus importants ? À ce titre, la région eût pu s’appeler la Provincia secunda, de cette Trêves qu’on nommait la Rome du Nord à Mayence où les traces de Rome restent si visibles.

Digues contre les débordements du fleuve, canaux entre le fleuve et les bassins voisins de Gaule, routes magnifiquement pavées, faisant réseau à travers la rive gauche, la rattachant au pays des Bataves comme au pays des Eduens, à Boulogne, à