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genoux. Qui parle de ménager l’Angleterre est un « traître à la patrie. » Contre elle toutes les armes sont permises : « Frappe dur et frappe où tu peux. » Un Norvégien, l’avocat Per Rygh, qui voyage en Allemagne en avril 1915, écrit :


Les Allemands ne témoignent de véritable haine que contre l’Angleterre ; mais ici leur haine est si sauvage, si intense, si aveugle, qu’elle touche à la monomanie. Les plus doux des vieux messieurs, les plus douces des vieilles dames, des gens qui ne feraient pas de mal à une mouche, ont un regard mauvais quand on parle de l’Angleterre. Gott strafe England n’est pas une exclamation réservée aux fous et aux hystériques ; c’est une prière qui jaillit du fond de l’âme allemande. Le Simplicissimus, qui fait maintenant du patriotisme et qui y gagne d’être vendu dans les gares prussiennes où il était auparavant interdit, a réuni quelques-unes de ses caricatures antibritanniques en un volume intitulé : Gott strafe England. Quiconque veut savoir ce que c’est que la haine doit acheter ce livre…


Quant à la France, on l’outrage abondamment, on est stupéfait de la voir « haïr tout ce qui est allemand d’une haine si vulgaire et si infâme qu’on ne la saurait comparer qu’à la fureur écumante de filles et de souteneurs cravachés ! » (Kœlnische Zeitung, 6 mai 4915.) C’est une nation frivole, fanfaronne et menteuse. Mais la haine contre elle se nuance de commisération. « Elle est au bout de sa puissance offensive… » (Discours de Heydebrand à Magdebourg, 18 janvier 1915.) Elle se détruit elle-même. La Haute Banque l’a jetée dans la guerre pour conjurer une crise financière. Maintenant elle n’a même plus la force de faire une révolution pour se débarrasser de la minorité qui l’opprime. Il faut plaindre cette victime de la perfide Albion. « Quand le moment décisif sera venu, ce seront les fils de l’Allemagne qui délivreront Calais des Anglais. De cela nous sommes sûrs. » (Münchener Neueste Nachrichten, 19 février 1915.) En effet, tous, ils en sont sûrs. Il n’y a pas une tête allemande où ne soit incrustée l’idée qu’un jour l’Allemagne devra obliger les Anglais à rendre Calais à la France, — à moins qu’elle ne le garde pour elle.

A l’égard de la Russie, les sentiments sont un peu plus complexes. Ce qui domine, c’est la peur. Non pas que les Allemands mettent en doute la défaite finale des armées russes, mais, à moins que la Russie ne se désagrège, ils savent qu’ils seront un jour submergés par le flot toujours grandissant du