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l’Angleterre contre l’Allemagne. Tour cela, on lui assura un morceau d’Allemagne ; d’ailleurs, toute l’Allemagne devait être partagée entre les Alliés jusqu’aux limites d’un État tampon formé par la Thuringe. On eût ménagé l’Autriche-Hongrie, si elle avait lâché l’Allemagne, et on lui eût alors donné la Bavière ; autrement, elle-même devait subir un partage.


L’Allemagne est élue entre toutes les nations pour gouverner l’Europe. — Cette idée est le fondement mystique du pangermanisme : les Allemands sont un « peuple de seigneurs » appelé par la Providence à « conduire l’ascension de l’humanité ; » ils sont le rempart de la civilisation européenne contre la barbarie des Moscovites, le mercantilisme des Anglo-Saxons et l’immoralité des Latins. Il est inutile d’insister : on a, depuis quatre ans, mis sous nos yeux d’abondants échantillons de cette littérature[1]. Les « intellectuels » allemands en ont été à tout jamais empoisonnés. Mais il ne faudrait pas s’imaginer que de pareilles prédications aient été sans effet sur le peuple. Elles lui annonçaient le royaume des cieux ; en même temps, elles lui promettaient celui de la terre. Elles flattaient son orgueil et sa rapacité : n’est-il pas juste que les missionnaires de Dieu se paient sur l’infidèle ? Puis cette prédestination de l’Allemagne était une bonne réponse à la question que se posaient les Allemands, témoins de la haine que l’univers nourrissait contre eux : « D’où vient que nous sommes universellement détestés ? » — « C’est, leur dit-on, que vous êtes plus vertueux, plus grands et plus nobles que le reste de l’univers. Les Grecs détestaient Thémistocle, Aristide, Socrate, parce que ces grands hommes étaient supérieurs à la masse du peuple. Vous êtes pour le monde un reproche vivant. Gœthe l’a dit : « Pourquoi te plains-tu de tes ennemis ? De « telles gens pouvaient-ils être tes amis, alors que la nature leur « est un éternel reproche ? » — Ainsi réconfortés, les Allemands peuvent accepter d’être traités de Huns, de barbares, voire de Boches. Rien ne les trouble dans leur « mission. »

L’Allemagne respecte le droit des gens. — Quand on entend les Allemands soutenir que l’Allemagne est odieusement calomniée, que ses soldats sont innocents de toutes les atrocités dont on les accuse, qu’elle s’est résignée à démolir

  1. Voir notamment L’Allemagne annexionniste, de Grumbach et Also sprach Germania par Jean Ruplinger.