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avènement, il vaticina : « La victoire de la conception allemande du monde, voilà ce qui est en jeu. » Selon le vœu du comte Hertling, l’Allemagne avait réalisé l’ « unité de front » intérieure.

Il semble qu’une telle série de paroles et d’actes eût dû ouvrir les yeux les plus rebelles à la lumière. Il n’en fut malheureusement pas ainsi : chez les neutres, et, ce qui est tout comme, dans les rangs du socialisme internationaliste de certains belligérants, la puissance des mots et la séduction des chimères cachent toujours à plus d’un les réalités vivantes.

On comprend, à la rigueur, que malgré l’évidence, malgré la mise en coupe réglée de l’Ukraine, de la Roumanie et autres lieux favorisés de la « paix allemande, » malgré même les menaces formelles dirigées contre eux, notamment contre les Pays-Bas, par la presse germanique, les gouvernements neutres d’Europe, — suisse, hollandais, Scandinave ou espagnol, — aient continué à ne pas se soucier d’échanger leur sort présent, si misérable fût-il, contre la situation, moins enviable à leur sens, de belligérant. Calcul humain, s’il en fut, qui ne dénote ni un tempérament d’apôtre, ni même une perspicacité singulière, mais qui a de nombreux précédents dans l’histoire.

Plus étrange assurément et moins explicable sous tous les rapports était la persistante illusion où s’obstinait le socialisme international : il en coûta moins à l’apôtre Pierre pour renier Jésus, moins à Henri IV pour conquérir Paris au prix d’une messe, qu’il n’en coûtait à ces illuminés de renoncer à leur foi demi-séculaire dans le prophète Karl Marx et l’efficacité de l’Internationale ouvrière. Cette foi était-elle absolue et sincère ? Ne s’y mêlait-il pas quelque souci, chez les chefs les plus éclairés, de ménager les plus turbulents de leurs soldats pour en conserver la clientèle électorale ? Fallait-il y voir aussi, comme d’aucuns, l’effet des intrigues dorées de l’Allemagne ? Ce n’est point le lieu ni l’heure de répondre à ces questions ; sans doute, au surplus, les mobiles étaient-ils varies et complexes ; le résultat n’en était pas moins misérable.

Nous ne parlons pas ici des Russes : ils s’étaient mis eux-mêmes hors de combat. Mais voici qui est plus curieux. Moins de trois mois après l’appréciation sévère formulée par le Hollandais Troelstra sur la paix orientale, à l’instigation, dit-on, de son ami Scheidemann, le même Troelstra recommençait à