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les audacieux enrôlements dans la Légion étrangère, le honteux chantage qu’on nous a fait subir dans l’affaire marocaine, bref, tout le sourd ressentiment amassé durant dix ou vingt années et qui va se déchaîner brusquement, comme, au printemps, les eaux gonflées brisent d’un coup toute la glace. »

Lorsque, le premier jour de la guerre, l’Empereur cria aux troupes défilant devant son palais : « Vous serez de retour dans vos foyers avant que les arbres aient perdu leurs feuilles, » pas un Allemand ne mit en doute la parole impériale. Plus tard il s’est trouvé quelqu’un pour insinuer qu’en parlant des arbres, Guillaume II songeait sans doute aux sapins. Mais ce jour-là, toute l’Allemagne, des hobereaux de la Poméranie aux mineurs de la Ruhr et aux tisserands de la Saxe, des théologiens de la vieille Prusse luthérienne aux caricaturistes du Simplicissimus, de Reventlow à Harden, de Westarp à Liebknecht, toute l’Allemagne, y compris son Empereur, ses généraux et ses fonctionnaires, est convaincue que la victoire sera facile, soudaine et complète : trois semaines plus tard, la France sera réduite à merci et les armées allemandes défileront sur les boulevards de Paris ; déjà les médailles sont frappées qui commémoreront l’événement ; l’Angleterre conservera une prudente neutralité ; quant à la Russie, elle sera écrasée avant d’avoir pu mobiliser ses troupes. Le rêve d’une « plus grande Allemagne » va enfin devenir une réalité ! Tous les appétits sont déchaînés.


C’est une joie de vivre… Nous avons tant désiré cette heure… La voici l’heure sacrée… Les Russes sournois et faux jusqu’au dernier moment, les Français surpris par la réalité, tremblants de peur et oubliant tout à coup la revanche, l’Angleterre froidement calculatrice et hésitante et le peuple Allemand exultant de bonheur… La Russie aveuglée jusqu’au suicide nous a mis de force l’épée à la main. Quel bonheur ! Et maintenant que notre épée est hors du fourreau, elle n’y rentrera que le but atteint. Ce but qui nous est imposé comme une nécessité naturelle, c’est de secouer la tutelle politique de la Triple Entente, c’est de donner à notre nation le droit de disposer d’elle-même et d’étendre notre territoire autant que la nécessité l’exige, c’est de rejeter loin de nous tout ce qui s’oppose à la sécurité de l’avenir… (Alldeutsche Blätter, 3 août ; numéro spécial : La bénédiction des armes.)


Tout le peuple communie avec les pangermanistes. Les