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tendit vers lui les bras : « Je vais mourir, lui dit-il ; ne me dites pas non. C’est admirable de mourir ici, lorsqu’on sait où l’on va. » L’aumônier l’administra. Les obus tombaient autour d’eux. M. de Montgolfier rayonnait. Puis, tout à coup : « Partez, dit-il. D’autres camarades vous attendent… Adieu, Monsieur l’aumônier, on a besoin de vous ailleurs. Allez et ne craignez pas. Vous arriverez à bon port. Tant que vous marcherez, je prierai pour vous. » L’aumônier s’éloigna. Il n’était pas arrivé à la lisière du champ de betteraves, où se passait cette admirable minute, que M. de Montgolfier était mort.

Au fond de mes ténèbres, que j’étais loin de ces hauteurs dans les pauvres efforts que je faisais pour échapper simplement à l’appréhension ou à l’ennui ! Ces grands mouvements de l’âme restaient pour moi de belles histoires de Légende dorée, toutes-puissantes sur mon imagination, mais sans effet sur ma vie. Et je passais les heures, tantôt à regretter de ne pas entendre en moi cette grande musique intérieure que j’appelais en vain, tantôt à me dire qu’il fallait laisser là le désir de se dépasser soi-même et que la calme résignation, l’indifférence un peu plate de mes compagnons de ténèbres ne manquaient pas de grandeur.

Au-dessus de nos têtes, dans les décombres de la maison, logeait un camarade plus fataliste encore, quoique d’une autre façon. C’était le signaleur optique, qui, du milieu des ruines, à peine dissimulé à la vue de l’ennemi par quelques sacs de terre, faisait toute la nuit, sous l’averse des obus, avec sa lampe électrique, le discret travail de liaison, naguère réservé au téléphone. En arrivant à son poste, il avait reçu la nouvelle qu’un de ses enfants était malade, et le sort de cet enfant occupait tout son esprit. Je montais quelquefois à son observatoire pour jeter un regard sur le système des tranchées allemandes qu’on découvrait fort bien de sa logette. Tout en observant à la jumelle les longs sillons de craie qui serpentaient à travers les petits bois de sapins, nous causions tous les deux du souci qui le tourmentait. Il accomplissait sa besogne avec une conscience parfaite et un tel mépris du danger qu’on eût dit que son inquiétude créait autour de lui une zone de protection efficace. Si ce n’eût été impie, on aurait presque envié le souci qui le rendait comme étranger à ce qui se passait autour de nous.

Pour moi, je m’étais mis sous la protection d’un ange, un