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Dehors, quelque chose de doux, de chaud, de parfumé, que je n’avais pas senti depuis longtemps, glisse dans l’air, m’environne et me pénètre. Des oiseaux jouent, se poursuivent et crient dans les plâtras, se posent sur une fenêtre retenue par un gond à un pan de mur encore debout. De l’autre côté de la route, dans le cimetière, sur une tombe, un arbrisseau couvert de fleurs jaunes se penche. Ma parole, j’aperçois des fleurs ! Les premières de l’année ! Là-bas, vers le canal, le bois marécageux, où tombent toujours des obus, a changé de couleur. Il y a sur lui un frémissement de bourgeons qui vont éclore. Soudain, tout près de nous, une marmite éclate. Quelque chose de noir, de rapide, un éclat m’effleure le visage. D’un bond je me jette en arrière. Trembleur ! C’était une hirondelle ! Cette chose noire, c’est le printemps.

O délices de la lumière ! Il n’y a qu’une minute encore, j’étais cave, bougie, ténèbres et comme un infernal tambour sur lequel retentissaient tous les petits ennuis de ma vie. Me voici maintenant, printemps, lumière et feuille verte. L’horticulteur dit près de moi : « Aujourd’hui, c’est la Saint-Joseph. » Et l’homme de Saintonge ajoute : « On dit chez nous que, ce jour-là, c’est le mariage des oiseaux. » Et tous trois, nous regardons l’hirondelle emmêler ses crochets rapides, en poussant des cris aigus.

Jamais peut-être, autant que durant cette guerre, les yeux ne se sont levés vers le ciel. Dans un temps où chacun est emprisonné dans la terre, quel apaisement de voir errer au-dessus de sa tête une fantaisie libre, un oiseau ! Quand, pour aller n’importe où, il faut circuler, durant des heures, dans un dédale de boue ; quand tout rampe et se dissimule, comment ne pas soupirer après cette liberté du ciel, du nuage, de l’oiseau qui file si vite et si droit à son but ? Liberté, liberté divine et sans crainte ! ailes légères, têtes insouciantes, vous suivre, vous imiter dans votre absence d’inquiétude, s’abandonner comme vous à la chance, au hasard bienveillant ! Sur les ailes de cette hirondelle, tous les oiseaux, associés à ma vie depuis trois ans, accourent autour de ma mémoire. Tourterelles lustrées de lumière, que le matin, dès l’aube, je poursuivais avec ma bicyclette sur les plateaux du Soissonnais ; oiseaux de proie du crépuscule qui me glaçaient le cœur, ballaient l’air d’une aile rapide que la vitesse semblait rendre immobile, guettant leur