Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prié de venir me voir, mais pour vous apprendre que je vous envoie à Saint-Pétersbourg comme ambassadeur. » Chaudordy commença par refuser. Renvoyé des allaires en même temps que ses amis politiques, il n’y voulait rentrer qu’avec eux. Comme Gambetta insistait, il lui rappela la divergence de leurs opinions réciproques ; elle lui faisait un devoir de maintenir, son refus. Mais à ses raisons, le ministre opposait les siennes, la résolution qu’il avait prise de ne confier les grands postes diplomatiques qu’à des diplomates de carrière ayant donné des preuves de leur valeur professionnelle. Un mouvement se dessinait en Russie en faveur de la France. Bien que ce ne put être encore « qu’un capital en réserve, » il fallait, pour en tirer parti un jour, se mettre dès maintenant en rapport avec ceux qui le dirigeaient. C’est pour lui confier cette mission que le chef du gouvernement faisait appel au dévouement patriotique de Chaudordy.

Celui-ci se défendait encore. Il objecta que la politique intérieure de la France et les influences révolutionnaires qu’elle subissait rendaient la situation de l’ambassadeur de la République en Russie trop difficile et trop délicate pour qu’il fût tenté d’en courir les risques. Il ne voulait pas s’exposer aux embarras et aux désagréments dont parfois avait eu à souffrir le général Chanzy et, en particulier, lors de la fameuse affaire Hartmann. Mais Gambetta tenait bon. Finalement, son obstination eut raison de celle de Chaudordy. Elle tomba devant la promesse qui lui fut faite que, si quelque incident analogue se produisait, de nouveau, c’est à ses conseils que se conformerait, pour le dénouer, le gouvernement de la République. Du reste, comment aurait-il maintenu son refus alors qu’il était averti que l’Empereur, consulté, avait donné son adhésion au choix de Gambetta et témoigné son contentement ?

En de telles conditions, le gouvernement français n’avait pas eu à examiner s’il ne vaudrait pas mieux continuer à confier à un général le poste de Saint-Pétersbourg. Les trois derniers ambassadeurs, Fleury. Le Flô, Chanzy, avaient dû à leur qualité de soldats de pouvoir assister aux parades du dimanche et d’approcher l’Empereur plus souvent que le pouvaient les ambassadeurs civils qui n’étaient reçus qu’après avoir demandé audience. C’était assurément un avantage ; mais le système n’allait pas sans inconvénient, l’ambassadeur autorisé