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Cet horoscope devait se réaliser de point en point et la France, — il est utile de le rappeler, — se convaincre bientôt qu’elle n’avait rien perdu à la retraite du prince Gortchakof, lequel cependant, en des circonstances critiques, s’était conduit envers elle comme un ami dévoué et fidèle. C’est des mêmes sentiments que s’inspirera de Giers dans ses rapports avec la France.

Au commencement de novembre 1881, une grande nouvelle, prévue d’ailleurs depuis plusieurs mois, arrivait de Paris à Saint-Pétersbourg. Le cabinet Jules Ferry avait été renversé et il était remplacé par un ministère ayant Gambetta à sa tête et désigné déjà sous le nom de Grand ministère, dans lequel il s’était attribué avec la présidence le portefeuille des Affaires étrangères. L’événement était accueilli dans les chancelleries avec autant d’émotion que de curiosité et dans les régions officielles russes plus encore qu’ailleurs, non que l’avènement de l’illustre tribun au pouvoir fut considéré comme un péril pour la paix, mais parce qu’on se demandait comment il s’y prendrait pour se libérer des principes révolutionnaires dont il s’était fait l’apôtre alors qu’il était dans l’opposition.

Le général Chanzy était alors en France en vertu d’un congé et le bruit se répandait que, résolu à ne pas conserver son poste sous l’autorité du nouveau ministre, il avait donné sa démission. Aussi attendait-on impatiemment son retour. N’eût été cette cause d’inquiétude, il ne semblait pas que l’événement dût troubler la tranquillité dont jouissait l’Europe. En s’en entretenant avec M. Ternaux-Compans, qui dirigeait l’ambassade comme chargé d’affaires en l’absence de l’ambassadeur, le ministre de Giers lui tenait le langage le plus rassurant :

« Vous allez avoir au gouvernement un homme d’une supériorité incontestable ; c’est une intelligence aussi puissante que souple et qui sait charmer. J’en ai la preuve par ce que m’écrit Kapnitz et par d’autres agents diplomatiques qui m’ont tenu le même langage. Je ne sais rien encore de positif quant à la formation du nouveau ministère, mais les noms mis en avant ne peuvent que rassurer sur sa couleur politique. » Ceci était dit le 9 novembre. Mais bientôt après on apprenait que le général Chanzy quittait l’ambassade. En annonçant son retour, il disait qu’il ne revenait qu’afin de présenter à l’Empereur ses lettres de rappel. C’était un nuage sur la confiance du ministre russe,