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qu’y voit-il dans ce passé ? Son arrière-grand-père Alexandre Ier a doté la Pologne d’une constitution libérale, et ce bienfait n’a pas empêché la Pologne de se soulever contre son libérateur. Son père, Alexandre II, a voulu engager l’Empire dans une voie libérale, et cet essai ne l’a pas protégé contre les assassins. Si ces tentatives sont restées vaines, à quoi bon les renouveler ? Telle est la question que se pose Alexandre pendant sa réclusion volontaire à Gatchina, tandis que, dans les classes cultivées, on se demande anxieusement comment il résoudra ce problème.

Durant cette période d’attente dont les amis de la dynastie souhaitaient ardemment la fin, le général Chanzy, ambassadeur de France, écrivait à son gouvernement le 23 avril : « Un désordre complet dans les idées, un effarement général depuis l’événement du 13 mars, le parti révolutionnaire relevant la tête, malgré les châtiments des coupables, manifestant son existence et ses projets par des menaces, des proclamations, de nouvelles tentatives heureusement déjouées jusqu’ici, un grand procès sur lequel l’attention semble portée, mal dirigé, critiqué par tout le monde, ayant créé un piédestal aux assassins, n’ayant rien découvert, et dans lequel le ministère public embarrassé arrive à nier l’organisation du parti qui tient le pays sous la terreur et ses relations avec les foyers du socialisme international, l’Empereur, obligé de vivre enfermé à Gatchina pendant qu’on s’assure que les palais impériaux ne sont pas minés, cherchant des hommes parmi tous ceux que l’opinion désigne un jour pour les abandonner le lendemain, accueillant avec reconnaissance les sympathies qu’on lui prodigue à Berlin, enfin le parti allemand agissant pour avoir la prépondérance, tout cela au milieu des ardeurs inconscientes d’une presse qui n’est pas l’organe de l’opinion publique et au milieu des aspirations libérales mal définies de tous les mécontents dans ce grand pays où, avec plus ou moins de raison, chacun prétend avoir à se plaindre de l’arbitraire forcé d’une administration incomplète, vicieuse sur bien des points et dont la responsabilité remonte au souverain. »

Presque à la même date, l’ambassadeur rend compte d’un entretien qu’il a eu avec Lord Dufferin, son collègue d’Angleterre. Dufferin, dont les opinions font autorité, lui a exprimé, quant aux périls dont la dynastie impériale est menacée, des craintes analogues aux siennes. Le diplomate britannique trace