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n’a pu venir à bout de l’esprit de conquête. Les familles gémissent des pertes affreuses que la guerre leur a coûtées. Les ménagères, aux prises avec les problèmes de la vie quotidienne, se lamentent. Les ouvriers mal nourris protestent. Tout le monde réclame la paix, mais chacun sous-entend qu’elle sera « pleine d’honneur » et créera « la plus grande Allemagne. » Les plus déprimés prétendent n’abandonner ni un morceau de la terre allemande, ni aucune de ces « garanties réelles » que les gouvernants jugent indispensables à la sécurité et à l’avenir de l’Allemagne. Bien plus, à chaque nouvelle épreuve, ils s’imaginent avoir droit à des compensations nouvelles. Tant qu’ils garderont la certitude que leurs armées sont invincibles, ils n’admettront pas que la guerre puisse finir sans leur apporter la récompense de leurs efforts et le prix de leurs sacrifices.

En août 1916, cette certitude n’est pas ébranlée. La déception de Verdun, les succès de Broussiloff, les terribles combats de la Somme, les embarras économiques, la fatigue de deux années de guerre obligent l’Allemagne à reconnaître que la paix triomphale, rêvée en 1914 et en 1915, est désormais impossible. Elle en veut une autre, celle qui est due à un peuple que ses ennemis n’ont pu vaincre et ne vaincront jamais. C’est pour l’obtenir qu’elle lie sa destinée à celle d’un grand homme de guerre. Sa résistance morale en sera plus solide et plus longue ; mais les talents militaires de Hindenburg n’empêcheront pas la nostalgie de la paix, les dissensions politiques, l’insuffisance des vivres, les sottises de la bureaucratie de troubler les esprits et de dissoudre les volontés.


LES VICTOIRES EN ROUMANIE. — LA PROPOSITION DE PAIX

« Encore un ! Il a fallu que la Roumanie s’en mêlât. Décidément nous avons le droit de devenir orgueilleux. Ainsi donc la France, l’Angleterre et la Russie, — pour ne pas parler de tous les petits roquets, — ne se sentent pas capables de nous réduire, malgré ce que, par-dessus le marché, l’Amérique du Nord leur envoie d’armes et d’argent !… Il faut que la pensée allemande soit douée d’une formidable puissance pour que le monde entier s’enroue à aboyer contre elle… Nous menons le combat le plus formidable qu’aucun peuple ait mené depuis la