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au mois de juin ; là aussi la politique est étrangère à l’événement. D’ailleurs, à Munich, comme à Berlin, la police met rondement les manifestants à la raison ; cependant un sourd mécontentement continue de régner dans le peuple exaspéré des privations qu’on lui impose et dont il rend les fonctionnaires responsables. Les Allemands du Nord accusent ceux du Sud de faire trop bonne chère, et les seconds reprochent aux premiers de les affamer en venant s’emparer de leur viande et de leur beurre.

La situation est si grave que le député Muller (Meiningen), qui n’est pas socialiste, adresse une lettre publique au président du Kriegsernäkungsamt. Elle résume toutes les causes de la colère populaire :


Le sucre manque. Les ménagères réclament du sucre pour leurs confitures ; au lieu de sucre, on leur distribue des paroles de consolation. Que de fruits perdus ! Le mécontentement grandit de jour en jour d’une façon inquiétante. En même temps les prix des fruits augmentent au grand avantage d’un trust de producteurs. Les voyages et les belles paroles n’y feront rien, seuls les actes pourront porter remède à la crise. Ainsi les pommes de terre précoces ont été récoltées, mais on ne peut en obtenir : ne se décidera-t-on pas bientôt à saisir toutes les récoltes pour les répartir à des prix raisonnables ? Et que dire des absurdes interdictions de sorties établies par de petits districts ? Ici, il y a du superflu. Deux heures plus loin, de la misère ! Chacun peut voir que, dans nos États du Sud, le particularisme a été réveillé de la façon la plus dangereuse par ce néfaste système d’hésitations et de tâtonnements. Je ne demande pourtant pas à V. E. une réforme générale. Je lui dis : « Donnez du sucre à nos ménagères, des fruits et des légumes à nos villes ; sans quoi gare aux émeutes qui finiront par éclater même en dehors des grandes villes, ces parias de l’alimentation ! » Le peuple allemand sait qu’il y a assez de vivres.,mais que la bureaucratie a fait faillite. C’est contre elle qu’il s’élève aujourd’hui. S’il le faut, il emploiera la force…


De ce trouble général nous avons des preuves nombreuses. Ce sont d’abord les lettres saisies sur des prisonniers allemands pendant le printemps et l’été de 1916. Presque toutes contiennent des doléances sans fin sur le prix, la rareté, la mauvaise qualité des aliments, et presque toutes trahissent une grande lassitude. Mais les exhortations qu’on adresse de toutes parts à la nation pour l’inviter à « tenir, » sont encore plus significatives.