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exécrer l’Amérique, comme il exécrait l’Angleterre. Le gouvernement faisait tout pour développer ce sentiment. Tandis qu’en Amérique il menait une campagne acharnée afin de convaincre les Américains de la bonne amitié de l’Allemagne, il menait, en Allemagne, une campagne non moins acharnée pour exciter le peuple contre les Américains et le préparer à l’idée d’une rupture, — chef-d’œuvre d’incohérence, modèle de cette « habileté » allemande qui, depuis quatre ans, a trouvé chez nous des admirateurs imprévus. La foule était de plus en plus irritée contre les États-Unis auxquels elle reprochait d’expédier à l’Entente des munitions et du matériel. Dans les milieux officiels, on avait le plus grand intérêt à exagérer le chiffre de ces fournitures. L’armée avait, au cours de la première année de guerre, plus d’une fois manqué de munitions, notamment après la bataille de la Marne ; pour expliquer cette infériorité, il était commode d’alléguer que l’Entente n’aurait pu continuer la lutte sans le secours de l’industrie américaine.

C’était contre les États-Unis un déchaînement d’outrages. Les correspondants américains recueillaient partout des propos insultants à l’adresse de leur pays. Des Américaines étaient frappées et injuriées dans les rues de Berlin, parce qu’elles y parlaient anglais. En janvier 1916, paraissait une publication spéciale, La lumière et la vérité, dirigée contre le président Wilson. A chaque note nouvelle venue de Washington, les pangermanistes annonçaient la rupture prochaine et en prenaient délibérément leur parti. Le 25 avril 1916, alors que cette rupture ne pouvait plus être conjurée que par une reculade de l’Allemagne, un journal catholique écrivait : « La concession exigée par Wilson, l’abandon de la guerre sous-marine contre l’Angleterre, est impossible. Le peuple allemand ne se laissera pas priver du seul procédé de combat qui puisse lui permettre d’abattre l’Angleterre. Il se dit avec raison que, même si l’Amérique entrait ouvertement dans le conflit, nous n’en souffririons pas beaucoup plus que de l’aide secrète mais considérable qu’elle a pu jusqu’à présent donner à nos adversaires. Nous pouvons donc dire tranquillement : advienne que pourra… L’Allemagne et ses alliés ne peuvent plus être vaincus. » (Kœlnische Volkszeitung, 25 avril 1916.) Quelques jours plus tard, l’Allemagne recula. Les pangermanistes n’en crièrent que plus fort, certains que sur ce point-là, — comme