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Béatrice et d’autant plus en évidence que c’est son mari qui avait levé les dernières hésitations de Charles VIII à venir en Italie. On la vit aux noces de l’empereur Maximilien, avec la jeune Bianca Maria Sforza, dans un de ces chars parés qui portaient le cortège, et toute couverte de perles. Elle joua même parfois un rôle dans les réceptions diplomatiques. En 1496, Venise ayant envoyé à Milan deux ambassadeurs, Antonio Grimani et Marco Morosini, pour rencontrer Maximilien alors à Vigevano, ils furent hébergés au palais personnel de la petite Bianca, et là, remplaçant son mari qui souffrait d’une attaque de fièvre, elle souhaita la bienvenue à ces graves personnages. Elle n’avait pas quatorze ans. Telle était l’initiative ou l’assurance des petites princesses avant qu’on se fût avisé de les instruire.

Faut-il croire au mot cruel de Gloucester sur les étés courts qu’ont les printemps trop précoces ? Tant il y a que peu de temps après ces solennités, le 22 novembre de la même année, Bianca mourait subitement à Vigevano. C’était le premier son de la cloche fatale qui annonçait la fin d’un monde. La douleur de Béatrice fut profonde : « Bien que vous ayez déjà appris par le duc, mon mari, la mort prématurée de madonna Bianca, sa fille et l’épouse de messer Galeaz, — écrivait-elle à Isabelle d’Este, — je ne dois pas moins vous écrire ces quelques lignes de ma main, pour vous dire combien grands sont le trouble et le désarroi où cette mort m’a mise. La perte, en vérité, est plus grande que je ne puis le dire, à cause de notre grande intimité et de la place qu’elle tenait dans mon cœur. Puisse Dieu avoir son âme ! » Le More, de son côté, épanchait sa douleur, non auprès d’une parente, mais de la propre mère de sa fille, et lui protestait « qu’elle ne serait pas moins aimée de lui, dans l’avenir, que si la Bianca était toujours vivante. »

Quant à son mari, quoique bien plus âgé qu’elle, il commençait à peine, lorsqu’elle mourut, la longue carrière qui devait l’illustrer, et lui mériter une mention dans le Cortegiano, comme d’un des cavaliers les plus accomplis de son temps. Ce Galeazzo, cousin du More, était le plus brillant des douze frères de San Severino, des géants parmi lesquels l’Histoire a retenu, aussi les noms de Gaspare, le fameux capitaine Fracasse, de Gian Francesco, comte de Caiazzo, qui commandait