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vagues ; l’avion se meut aussi caché dans les profondeurs de l’éther que le submersible dans l’opacité des eaux ; chaque menace frappe subite sans que rien l’annonce ; et toutes ensemble entourent de morts multiples le combattant.

Aucune de ces surprises ne l’a déconcerté. Seulement la diversité des tâches dans la communion du devoir a donné des allures différentes à la bravoure des équipages sur les chalutiers, les destroyers et les sous-marins.

Poseur et dragueur de mines, le chalutier, quand il les sème, ferme les chemins aux navires de guerre et de commerce ennemis qui se dirigent vers leurs ports, il affaiblit et affame l’adversaire ; quand il drague, il ouvre aux navires de guerre ou de commerce amis les chemins de ses propres ports, il assure le ravitaillement du pays, il nourrit la guerre. Rien n’est plus important que son œuvre. Il est donc inévitable que la principale activité des adversaires maritimes s’emploie contre lui. Où il est, il attire et les avions et les destroyers et les sous-marins, comme si ce n’était pas assez, pour son danger continu, de son propre travail. Tout heurt contre les mines qu’il cherche, qu’il doit relever et détruire, l’expose lui-même à l’explosion. Les hommes savent que chacun de leurs gestes peut être pour eux le dernier. Ils sont, pour la plupart, des pêcheurs que ni l’expérience ni le point d’honneur militaire, n’ont d’avance instruits au sacrifice. Il se trouve qu’ils n’avaient pas besoin de leçons pour être braves. Leur intrépidité n’est pas une de ces impulsions soudaines, un de ces enthousiasmes temporaires, une de ces grâces supérieures à la nature et qui donnent à l’homme des instants où il devient un autre. Elle n’est pas hors d’eux, pas au-dessus d’eux, mais en eux. Ils sont restés eux-mêmes et leur courage leur ressemble, lourd et solide. Il marche leur pas ; ils ne s’essoufflent pas à le suivre et ne le laissent jamais en chemin. Leur énergie intérieure a sa constance comme les battements de leur cœur, et sans que leur libre arbitre agisse sur cette nécessité de leur être. Ils ont accepté d’avance en bloc les pires chances : pour ne plus s’inquiéter d’elles en détail, ils pêchent les torpilles comme ils péchaient le poisson. Pourtant ils ont conscience d’un métier nouveau. La parure de la vie guerrière, l’uniforme beauté des costumes et des gestes leur manque, mais cette vie se cache sous les apparences inharmonieuses de leurs hardes et de leurs attitudes. Elle se