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Tout en maintenant l’autonomie des Etats, la Constitution établit un pouvoir exécutif fédéral, émanant, non des chambres fédérales, mais de la nation elle-même, et doué de pouvoirs étendus. Le vote de cette Constitution fut quelque chose comme une volonté supérieure qui, au lieu de résumer simplement les volontés particulières, s’en affranchit, et s’impose à elles. C’est ainsi que, dans une conscience individuelle soumise à la loi du devoir, le souci du bien général domine et refoule les désirs égoïstes de l’individu.

En réalité, cependant, si cette union était acceptée des Etats, c’était surtout en vue de la sécurité et de la paix. Dans ces conditions, était-elle définitivement scellée ? L’événement montra qu’elle ne l’était pas.

Le grand Washington dit un jour : « Sommes-nous un peuple, oui ou non ? Si nous sommes un peuple uni, agissons, en toute affaire d’intérêt général, comme une nation, qui a un caractère national à soutenir. » Dans cette pensée, lorsqu’il dut, comme président, en 1789, se choisir des ministres, il prit, à la fois, Alexander Hamilton, qui professait que le pouvoir doit être entre les mains d’un petit nombre, et Thomas Jefferson, qui abhorrait tout privilège de classes : il ne considéra que le commun dévouement de ces deux hommes au bien public.

Mais l’heure n’était pas venue où le point de vue de Washington serait celui de l’ensemble des citoyens. Hamilton, et Jefferson représentaient deux manières contraires d’interpréter la Constitution : Jefferson ne voulant accorder au gouvernement fédéral d’autres pouvoirs que ceux qui étaient strictement nécessaires à son fonctionnement constitutionnel ; Hamilton, au contraire, souhaitant, pour le président, une autorité illimitée sur le peuple et sur les Etats. Le « caractère national » conçu par Washington n’était pas alors suffisamment développé pour diriger les esprits. La raison, tirée surtout des conditions de sécurité, qui avait déterminé le vote de la Constitution, était un principe externe de détermination : elle ne suffit pas à défendre, contre les retours offensifs des Etats, l’unité qui devait faire d’eux une nation. Le fait capital de l’histoire des Etats-Unis, pendant trois quarts de siècle, fut le conflit de la tendance de Hamilton avec celle de Jefferson, ou, selon des expressions reçues, des républicains avec les démocrates. Durant ce long temps, le multiple et l’un