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entendaient se rendre indépendants du gouvernement anglais dans la matière qui, pour eux, primait toutes les autres ; mais leur doctrine religieuse elle-même les disposait à nier la légitimité, en ce monde, de tout pouvoir prétendant, à une souveraineté absolue. Calvin, leur maître, enseignait que « si les souverains viennent à commander quelque chose contre Dieu, il ne doit être de nulle estime, et ne faut avoir en soi aucun égard à toute la dignité des supérieurs. »

Une seconde influence rendait ces hommes instinctivement jaloux de leur liberté politique aussi bien que de leur liberté religieuse. Ils étaient Anglais, et les principes de la Grande, Charte n’étaient point oubliés en Angleterre. Or, l’acte de 1215 déclarait que « nul homme libre ne peut être saisi… que par un jugement légal de ses pairs ou en vertu de la loi du pays. » L’esprit de fierté et de liberté que symbolisait la Grande Charte se retrouve, très vivant, dans le gentilhomme anglais Washington.

Ce n’est pas tout. Au XVIIIe siècle se développèrent en Europe, et particulièrement en France, des doctrines de liberté, fondées, non plus seulement sur des textes sacrés ou sur la tradition, mais sur la dignité innée et essentielle de l’homme ; et ces doctrines ne laissèrent pas indifférents les esprits éclairés de la Nouvelle-Angleterre.

Ces hommes étaient des puritains. Mais Calvin, dont ils gardaient les enseignements, n’avait pas été seulement un théologien. Versé, tout d’abord, dans la connaissance de la philosophie stoïcienne, il en avait retenu plusieurs principes essentiels, et son interprétation de l’Evangile est tout imprégnée des doctrines du Portique. C’est ainsi, par exemple, qu’au début de son Institution Chrétienne, il écrit : « Nous mettons hors de doute qu’il y a, dans l’esprit humain, une inclination naturelle, quelque sentiment de divinité. » Les expressions mêmes dont se sert ici Calvin sont celles des stoïciens grecs et romains. Et l’on sait que c’est précisément dans cette théorie stoïcienne du sentiment religieux inné en l’homme que le grand promoteur du principe des droits naturels, Grotius, puisa son inspiration. L’esprit d’émancipation de Calvin et la philosophie française du XVIIIe siècle ont ainsi, dans l’humanisme, dans le legs de l’antiquité classique, des racines communes.

Rien d’étonnant, dès lors, si les idées françaises du