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vulgaire, jamais triste : brillante et lumineuse, elle dégage on ne sait quelle atmosphère juvénile et même, pour la première fois dans l’art depuis des siècles, ce parfum, cet éclat d’une fine et gaie volupté : et le sourire, qui est la signature du maître de sainte Anne, persiste aux lèvres des anges et flotte sur toute la cathédrale comme un impérissable attrait d’adolescence.


En face de ces remuantes figures s’isole un couple solennel et tellement singulier que j’ai dû le réserver pour la fin. Ce groupe de la Visitation, auquel il faut joindre la figure du pontife Abiathar, étonne : au milieu des œuvres qui l’entourent, il semble d’une autre famille et comme d’une mitre espèce. Une humanité inconnue et grandiose y respire. Jamais l’imitation de l’antique, aux siècles de Léon X et de Louis XIV, n’a rien produit de plus imposant que ces deux nobles figures de Parques.

Ces figures sont célèbres. Sont-elles réellement plus belles que leurs voisines ? Elles sont belles, du moins, d’une beauté étrangère. Vous diriez, au milieu d’un verger de chez nous, dans un parterre de grâces naïves, deux tiges imprévues de la corinthienne acanthe. Les statures sont plus grandes, la forme des corps plus magnifique ; auprès de leurs compagnes plus minces, plus déliées, plus agiles, ces deux créatures semblent d’une race plus qu’humaine. Leurs membres s’enveloppent de cette draperie aux mille plis et aux flots sans nombre, qui sont une manière savante d’emprisonner le jour, de faire chatoyer et d’iriser la forme, de lui créer, en quelque sorte, une ambiance spéciale et de multiplier par le modelé la sensation de la vie. Les têtes n’ont plus rien de ces traits prime-sautiers, de cette physionomie si vive, si particulière qui, par exemple, rond la sainte Anne charmante comme une personne exquise rencontrée dans la rue. L’artiste vise plus haut que le portrait. Il a voulu créer des types, des formules humaines d’une valeur générale : ce qui l’émeut, dans ce sujet de la Visitation, c’est la rencontre et le contraste de deux âges de la vie, de la jeunesse et du déclin, du soir et de l’aurore. Le visage de la vieille Elisabeth n’est pas exempt de quelque sécheresse ; mais celui de la Vierge est une création supérieure. Nul art n’a surpassé la beauté ronde et pure de sa forme pensive ; le voile qui l’encadre baigne ses joues d’une ombre tranquille et majestueuse.