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gestes et dialoguent. On assiste à de véritables scènes, jouées par des couples et des groupes, comme les scènes de l’Annonciation et de la Visitation ; la Présentation au Temple développe une frise suivie de cinq ou six personnages. Toutes ces choses, qui n’avaient jamais occupé que des emplacements secondaires, les faces d’un chapiteau, les côtés d’un jubé, et qu’on ne traitait jamais qu’en petites dimensions, comme une imagerie pieuse, reçoivent ici les proportions du style monumental. Le haut moyen âge ne s’occupe que des pensées éternelles. Il envisage le monde sous la catégorie de l’idéal. L’art nouveau quille l’absolu pour le relatif, l’abstraclion pour la vie. Au point de vue de la théologie et de la pensée pure il substitue un ordre de vérités plus humaines et plus touchantes. La Vierge de Reims, au milieu des images et des souvenirs de sa vie, apparaît moins comme une idée que comme une femme.

L’art, la pensée ont-ils perdu à celle métamorphose ? La question est assez vaine en présence de chefs-d’œuvre. Pour la critique, qui ne cherche qu’à dater et à distinguer des idées, c’est à Amiens, qui est un peu antérieure à Reims, que cet art nouveau a pris naissance : on a vu que la façade de Reims doit plus d’un Irait à celle d’Amiens (sauvée, elle aussi, par la victoire et heureusement intacte). La figure de la Vierge dans les deux Annonciations, la picarde et la champenoise, est sans aucun doute du même maître. Mais ce qui n’était à Amiens qu’une indication, devient à Reims tout un système : la façade s’illumine de grandes pages sculptées ; c’est le bas-relief colossal de la Mort de Goliath ; c’est, dans les hauteurs du fronton, la galerie solennelle du Baptême de Clovis. Et ce sont, entre les figures isolées sous leurs tabernacles, de grands gestes qui s’échangent et des signes qui se répondent, — le Christ et saint Thomas aux contreforts d’une des tours, ou encore ces deux femmes prèles à s’agenouiller dans les gables de chaque côté de la façade, — figures énigmatiques, vives lueurs qui traversent l’immense poème de pierre et y font passer une phosphoresrence passionnée.

Quelques-unes de ces scènes méritent qu’on s’y arrête. Celle de la Crucifixion, au sommet du portail de gauche, est une composition dont la hardiesse étonne ; c’est la première fois que ce sujet tragique se déploie, avec le relief et le réalisme de la pierre, au frontispice d’une église ; la première fois que