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De ces objets, le plus nouveau est peut-être la beauté, — je veux dire la beauté prise pour elle-même, ayant en soi sa raison d’être, la beauté considérée comme sa propre fin. Parmi ces cathédrales que l’on a comparées à des livres de pierre, où chaque sujet n’est qu’une phrase ou une image dans un discours, la cathédrale de Reims semble avoir beaucoup perdu de son caractère enseignant. Le côté didactique y parait effacé. Que de fois en étudiant cette façade sublime, on demeure perplexe devant tel ou tel personnage ! Que de figures dont on ignore ce qu’elles peuvent vouloir dire ! Combien s’en trouve-t-il d’innomées, dont il a été jusqu’à ce jour impossible d’expliquer le rôle ou la présence ! Peut-être faut-il souvent n’accuser que notre ignorance ; mais voici des exemples plus significatifs. Que viennent faire, au-dessus des portes de la façade, ces belles images de Verseaux, c’est-à-dire de jeunes hommes qui répandent des urnes, et que l’on interprète comme les quatre fleuves du Paradis ? Que sont-ils autre chose que de purs thèmes de poésie ? Ce n’est pas tout : j’ai parlé des anges du chevet, mais les anges sont partout autour de l’édifice. Qui ne connaît le plus beau de tous, du moins le plus célèbre, — aujourd’hui mutilé, décapité, hélas ! — celui que l’on appelait le « Sourire de Reims ? » Ces anges remplissaient les fonctions les plus diverses : ils n’étaient pas là seulement dans la scène de l’Annonciation, où saint Luc parle du rôle du messager céleste. Mais ils apparaissaient encore là où la tradition ne les appelait pas ; ils escortaient les saints ; le martyr saint Nicaise, avec son crâne scié au niveau des sourcils, s’avançait comme l’officiant entre deux anges pour acolytes. D’autres balancent l’encensoir aux côtés de saint Rémi. Ces portes, où chaque figure devrait être une leçon, s’emplissent ainsi de silences ; elles enseignent moins qu’elles ne rêvent. La figure du saint qui nous instruit par son exemple s’accompagne d’une autre, qui n’a plus de signification précise : que veulent dire ici ces créatures sans nom, ces charmantes images d’une grâce neutre et indécise ? Elles ne parlent pas, elles agissent à peine, elles n’ont pas d’histoire ; elles ne sont là que pour la beauté, comme de simples motifs de songes.

Or, ces êtres indéterminés, sans aucun sens édifiant, deviennent les principaux personnages de cette statuaire. On a appelé Reims la cathédrale des anges. A tout instant dans les