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somptueux encore et un redoublement de faste et de splendeur L’architecture pavoisée semble perpétuer quelque chose des solennités des vieux âges, des tentures et des oriflammes, des acclamations et des pompes des sacres.

Mais Amiens n’est pas le seul modèle dont le maître de Reims ait incorporé les beautés à son œuvre. M. Mâle a montré qu’il ne s’est pas moins inspiré de l’admirable façade de Laon. (Encore une délivrance d’hier, une gloire nouvelle de nos armes.) Ce morceau, d’un style âpre encore, est une des conceptions du moyen âge les plus empreintes de majesté. Par la rudesse des lignes et la puissance des ombres, l’auteur a su donner à cette page austère un extraordinaire caractère méditatif. La grande rose centrale qui s’ouvre au-dessus des portails semble, sous le grave sourcil de son épaisse orbite, l’œil de quelque ascète contemplateur, un regard ouvert sur l’infini. Les tours arrachent à Villard de Honnecourt un cri d’admiration : « J’ai été en moult de terre, écrit-il dans ses notes ; en aucun lieu onques telle tour ne vis comme est celle de Laon. » Tous ces traits se retrouvent à Reims, mais transfigurés et baignés d’une atmosphère de joie. L’artiste chasse de partout les ombres, éclaire les cavernes farouches où le maître de Laon se plaît à épaissir de profondes énigmes ; il modèle l’immense paroi dans la lumière et la demi-teinte ; il n’est pas de coin sombre où quelque statuette n’accroche une lueur et ne jette un reflet. La rose s’illumine comme un œil limpide à fleur de tête. Toute la façade ruisselle de joie. Telle est l’aversion du maître pour les ténèbres, sa passion de la transparence, qu’il supprime les tympans des portes, les métamorphose en vitraux ; les sculptures sautent sur les frontons et s’y composent en pleine lumière, sous un dais de dentelles sculptées dont l’ombre adoucit leurs contours. Partout l’artiste aère, ajoure, nuance, colore, harmonise, assouplit. Il semble se jouer de la matière, lui ôter les derniers restes de sa masse et de sa lourdeur. Les tours nagent en plein espace. Ce sont celles de Laon, mais allégées, simplifiées, enhardies, formées de prismes et de baldaquins aux colonnettes diaphanes ; elles paraissent vibrer à l’air comme les cordes d’une grande harpe. Jamais architecture ne s’est plus divinement mariée au pays des nuages, ne s’est mêlée de plus de ciel. Rien n’exprime plus l’effort ni la difficulté vaincue : plus de traces des problèmes qui rident d’un souci