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Quant au secrétaire du Comité, il demeure introuvable. Un paysan, sommé de nous indiquer où il se cache, répond sottement :

— Je ne sais pas, camarade !

— Comment, tu oses dire : camarade ? Les coups tombent sur ses épaules.

— Dis tout de suite : Votre Noblesse, Monsieur l’officier ! Le paysan porte la main à son bonnet :

— Je vous demande pardon, Votre Noblesse ! Abasourdi par le brusque retour de l’ancienne étiquette, tête nue et l’échine courbée, le drôle prend nos ordres. On le charge de faire le tour des quarante-deux misérables habitations qui composent le village et d’annoncer :

— Dans un quart d’heure, toutes les armes, le vin et les chevaux volés devront être livrés. A l’expiration de ce terme, quiconque détiendra encore une seule arme, un seul cheval du zimownik, sera impitoyablement fusillé.

Nous nous faisons ensuite conduire à la maison du secrétaire. Sa femme restée au logis, avec un enfant dans les bras et trois autres pendus à ses jupes, ne peut nous dire qu’une chose : les papiers ont disparu avec son mari. Il ne reste que le cachet du comité, que Somof saisit à l’effet de s’en servir pour fabriquer de faux passeports.

Nos cavaliers ont fait le tour de Krasnovka. Les femmes continuent de travailler, affectant toujours le plus grand calme. On a évidemment, à notre approche, soigneusement dissimulé toutes les traces du vol. Les horribles haridelles des indigènes de l’endroit, deux bouteilles de vodka, des fusils de chasse, de vieux pistolets, des sabres rouillés, c’est tout ce que nous trouvons.

Cependant, on nous amène un soldat qui a « rencontré quelque part » un cheval pur-sang, et deux autres, qui se cachaient derrière le foin dans une écurie, et sur lesquels on a trouvé des cartouches. Hier, sans doute, c’étaient des paysans inoffensifs : le nouveau régime en a fait des bandits : sur leurs faces d’ivrognes je lis une peur atroce, la peur de cette mort qui leur a fait quitter le front, et qu’ils risquent fort de trouver ici.

Les officiers les interpellent comme si l’ancien régime durait encore en Russie :