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Ce propriétaire ne témoigne pas une excessive envie de nous vendre ses chevaux. Ceux qu’il nous offre sont maigres et laids : nos officiers les refusent. Alors, il nous promet ses bons offices auprès des Kalmouks, chargés de la garde des troupeaux ; mais nous le soupçonnons de leur donner en secret des instructions toutes contraires. Douze cents chevaux errent en liberté sur un espace de près de dix milles où il est impossible de les attraper sans l’aide de ces Kalmouks, qui eux-mêmes défient quiconque voudrait les atteindre à la course. Cavaliers infatigables, ils gardent jour et nuit leurs fiers troupeaux, par groupes de trois : l’un se repose tandis que les deux autres sont en selle. On me montre l’un de ces Kalmouks qui, naguère, deux fois par semaine, sur le même cheval, allait prendre le courrier pour son maître, à cinquante kilomètres de là, faisant ainsi près de cent dix kilomètres dans les vingt-quatre heures.

Le colonel cherche à convaincre Goudovsky qu’il faut lui vendre des chevaux : autrement les Bolcheviks les prendront. Mais cet honnête homme ne veut rien entendre. Nous n’aurons pas les chevaux ; les Bolcheviks ne les auront pas non plus : à quoi bon les vendre, quand l’argent diminue tous les jours de valeur ?


LE CHATIMENT D’UN VILLAGE


Karelkowe, le 18 février /3 mars

Le village de Krasnovka a mis les doctrines maximalistes en pratique. Après une résolution unanime du soviet de village, la population en armes, accompagnée d’un grand nombre de « frontowikis, » s’est rendue avec des charrettes à un zimownik voisin, l’a mis à sac, s’est enivrée dans les caves, puis est repartie, emportant le vin qui restait, emmenant les chevaux et le bétail. Le propriétaire qu’ils avaient enfermé et menacé de mort, a réussi à s’échapper. C’est lui qui nous fait le tableau de l’ignoble et odieuse scène. À ce récit, les nôtres voient surgir derrière l’image du zimownik détruit, celle de tous les biens pillés et incendiés, de tous les malheureux maltraités et massacrés dans la Russie en feu. En conséquence, le colonel Gherchelman ordonne au capitaine Somof, commandant de wzwod[1],

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