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Tel n’est pas, si l’on prend ces formules à la lettre, le point de vue du président Wilson. C’est ainsi qu’il se défie d’une culture intellectuelle qui serait bornée aux sciences proprement dites, parce que ces études nous inclinent à dédaigner ce qui est ancien et à nous engouer de tout ce qui est nouveau. Dans l’ordre moral, notamment, c’est une erreur de traiter le passé de vieillerie périmée. Le passé de l’homme ne peut ni ne doit disparaître. Le cœur humain ne change pas comme le corps et comme la forme extérieure de la vie humaine. Les grands interprètes de la conscience et de l’esprit sont nos maîtres, comme ils furent ceux de leurs contemporains. Le patrimoine de vérité et de justice que se transmettent les générations, en s’efforçant de l’accroître, est une richesse d’une valeur éternelle.

M. Wilson, d’ailleurs, en bon Américain, demeure, avant tout, soucieux d’utilité pratique et de résultats. Il ne cherche pas, dans un vain effort pour ressusciter ce qui n’est plus, une jouissance de dilettante. Il ne disserte pas, en métaphysicien, sur les lois immanentes de l’évolution historique, dans leur rapport à l’absolu : il étudie l’histoire, d’abord, pour lui-même, parce qu’il voit en elle un flambeau dont la politique ne peut se passer. Puis, il communique à ses compatriotes les résultats de ses recherches, parce qu’il compte, par ce moyen, les aider à voir clair dans les questions présentes, et à prendre les décisions les plus pratiques. « Regardons souvent en arrière, dit-il, et nous nous apercevrons que nous avons la vue meilleure pour regarder en avant. »

L’histoire comme guide de la vie : pourquoi dédaignerions, nous cette conception classique ? Exclurait-elle l’impartialité, l’objectivité, le point de vue scientifique ? Elle le suppose, au contraire, si nous voulons éviter les châtiments qu’inflige la réalité à ceux qui la méprisent. Le président Wilson est a matter of fact person : il part des faits, il ne les construit pas. Voilà pourquoi il sent le besoin d’étudier l’histoire, et c’est pour inciter les autres à faire de même qu’il communique au public le fruit de ses recherches.

M. Wilson étudie l’histoire du peuple américain. L’objet suprême de ses efforts, en effet, c’est de penser, de vivre et d’agir en Américain, Comme c’est, avant tout, une direction pour sa propre conduite qu’il cherche dans ses études, c’est l’histoire de son propre pays qu’il lui importe d’approfondir.