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partage entre deux voix alternées. Pourquoi se trouve-t-il là ? Il n’était peut-être pas indispensable à l’économie du morceau. On ne saurait dire d’où il vient. Mais tout à coup, dès les premières notes, il nous donne le frisson d’une émotion profonde. C’est une voix humaine qui chante, une voix fraternelle… Le voilà, le chant, le pur chant. Et le reste ?… Le reste est beau, très beau ; mais ce n’est qu’un jeu, un dessin, une arabesque sonore. C’est de la musique qui sonne. Tandis que ces dix mesures-là, c’est de la musique qui chante. » Même différence, et pour les mêmes raisons, entre telle fugue, et telle autre, du Clavecin bien tempéré : celle-là, plus riche en beaux dessins, en belles combinaisons sonores ; celle-ci, plus vocale et chantante, plus humaine et mieux faite pour nous émouvoir. La première s’adresse à notre intelligence, à notre imagination ; notre sensibilité subit profondément l’action de la seconde. Comme le dit en sa langue nuancée l’écrivain d’Italie, on se souvient de l’une avec la mémoire (memoria) ; l’autre, c’est avec le cœur (ricordo).

On estimera peut-être que le domaine ou le royaume sonore de Bellini, tel que, d’après M. Pizzetti, nous essayons de le définir, s’appellerait, tout aussi bien que le canto puro, et d’un mot unique, la mélodie. Mais si la mélodie, l’idée mélodique, en effet, y est comprise, elle ne le constitue pas tout entier. Et d’abord faut-il se demander, une fois de plus : Qu’est-ce qu’une mélodie ?

En sa lettre célèbre à Frédéric Villot, Wagner écrivait : « Posons d’abord que l’unique forme de la musique est la mélodie, que, sans la mélodie, la musique ne peut même pas être conçue, que musique et mélodie sont rigoureusement inséparables. Dire d’une musique qu’elle est sans mélodie, cela veut dire seulement, pris dans l’acception la plus élevée : le musicien n’est pas parvenu au parfait dégagement d’une forme saisissante, qui gouverne avec sûreté le sentiment. » Cette forme-là, cette « mélodie, » la seule qu’il estime digne de ce nom, Wagner se plaint de ne la rencontrer dans l’opéra d’Italie qu’à l’état pour ainsi dire sporadique, « par fragments isolés, entre lesquels s’étendent des intervalles remplis par une musique que, « dit-il, » il ne peut caractériser autrement que par l’absence de toute mélodie. » Mais dans ce même opéra italien, et tout justement dans l’œuvre de Bellini, le futur musicien de Tristan et de la Tétralogie ne peut cependant s’empêcher de la reconnaître, la mélodie véritable, et de la glorifier. « On me croit, » dit-il alors, « on me croit un ogre pour tout ce qui regarde l’école musicale italienne et l’on me pose spécialement en antagoniste de Bellini. Mais non, non, mille fois non.