Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/850

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’il ne soit aujourd’hui plus admiré que vraiment compris. Car enfin, quels sont, sur son œuvre et son rôle, les jugements de monnaie courante ? Les uns, captivés par la perfection magistrale de sa forme d’art, le vantent si fort de ce mérite qu’ils négligent de chercher si cette forme enveloppe quelque pensée, et qu’ils en parlent comme si elle se suffisait à elle-même. D’autres frappés, — ou effrayés, — de ce qu’il y a d’érudition dans les Poèmes antiques et les Poèmes barbares, en concluent que cet admirable historien des races mortes n’a vécu lui-même que d’une vie semblable à la mort, sans rien mettre dans ses œuvres d’humain ni de personnel. D’autres enfin, l’entendant dénoncer avec son âpre force l’éternelle Illusion, et appeler de sa voix robuste la « Divine Mort où tout rentre et s’efface, » le rangent, pêle-mêle avec Leopardi et Schopenhauer, parmi les contempteurs de la Vie. « Ciseleur, » « impassible, » « pessimiste, » ce sont bien, n’est-il pas vrai ? les épithètes le plus communément accolées au nom de Leconte de Lisle. Or, de ces trois épithètes, la première est plus fausse que vraie, il a toujours repoussé la seconde avec horreur, et la dernière elle-même appelle plus d’une réserve. Nous voudrions ici, en nous aidant du livre très richement documenté que M. Marius-Ary Leblond a publié sur son illustre compatriote, en nous rappelant aussi les confidences recueillies par une fervente admiratrice du maître, mais surtout en laissant parler le poète, essayer de retrouver un Leconte de Lisle moins uniquement artiste et érudit qu’on ne se l’imagine, plus vivant, plus passionné, et par là plus près de nous.


I

« Les Poèmes de Leconte de Lisle sont des œuvres un peu monotones, où il n’a pu ou voulu mettre que des effets de couleur, de relief et de rythme. » Cette sentence d’Émile Faguet résume assez exactement ce que la majorité des lecteurs pensent des Poèmes antiques et des Poèmes barbares. Elle n’en est pas plus juste pour cela. Et, par exemple, pour n’en relever que ce seul mot, qu’y a-t-il donc de « monotone » dans cette œuvre où la souple variété du pittoresque rivalise avec l’infinie diversité de la nature et de l’histoire ? Est-il « monotone, » celui qui sait passer de la plus délicate fraîcheur (le Colibri) à l’horreur la