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voulant pas intervenir dans ce conflit d’ordre intérieur, il sollicita du commandant en chef l’autorisation de se rendre à l’invitation de l’ataman Kalédine et de se joindre à ses troupes. Doukhonine refusa et renvoya le régiment à Petchanovka. Après le massacre de Doukhonine, le nouveau commandant en chef, Abram, — alias Krilenko, — exigea des officiers le serment au nouveau gouvernement. Force fut donc de repartir. Devant l’évidente impossibilité de regagner le Don en échelons, Negentzof disloqua ses troupes) et donna l’ordre aux hommes de se rendre individuellement à Rostof. On découpa le drapeau, qui fut emporté par Negentzof et le prince Oukhtonisky. Parmi les soldats, il y en eut qui se découragèrent et n’allèrent pas jusqu’au bout ; mais les autres se glissèrent dans des échelons de Cosaques à destination du Don. Le régiment se reconstitua plus tard, réduit de moitié, mais toujours en possession de son drapeau, de ses 32 mitrailleuses et de 600 000 cartouches.


Rostof, le 29 janvier/11 février 1918.

Ce matin, Kornilof est venu chez nous. Après nous avoir passés en revue, il nous assemble autour de lui, et nous dit :

« Les 7e et 10e régiments de Cosaques du Don sont résolus à marcher contre les Allemands ; d’autres régiments se forment sur le Don ; les Cosaques du Couban s’organisent. Il est de toute nécessité que nous tenions ici quelque temps pour laisser aux stanitzas le temps de lever de nouveaux détachements. Nous n’avons en face de nous que des Autrichiens et des Allemands, qui ont pris la direction des forces bolchevistes. Il faut marcher contre eux. Je compte sur vous pour donner l’exemple. »

Sans rien dans l’aspect qui le distingue, le regard mobile et doux, Kornjlof nous parle d’un ton uni, d’une voix sans timbre. De petite taille, il disparait au milieu de nous qui le dominons de toute la tête. Nul fluide ne se dégage de sa personne, rien qui magnétise, rien qui électrise. C’est son passé qui agit sur nous, un passé, devenu légendaire, de bravoure inouïe et de patriotisme pathétique. Pourtant ses paroles sont accueillies sans enthousiasme, sans un mot d’approbation. Bien entendu, on obéira ; mais les fronts restent soucieux : ’ c’est que les nouvelles qui arrivent du Don sont des plus inquiétantes.

Présenté à Kornilof, je cause quelques instants avec lui. Il