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faiblement dirigée. Mais il n’est pas impossible qu’un jour, qui n’est pas très éloigné, la Russie soit sauvée non par les savantes combinaisons des habiles, mais par la folle bravoure de ses héros. La brûlante jeunesse qui préparera la résurrection de la Russie suivra, non les esprits mûrs et lents, mais les âmes fébriles, et ne sera tentée que par les tâches impossibles.

S’il est vrai que Kornilof, en prononçant trop tôt sa dictature, a perdu la situation politique et l’armée, il ne l’est pas moins que personne autre que lui, ou quelqu’un qui lui ressemble, ne pourra sauver la nation. Il a commis la faute d’agir trop tôt, quand rien ne pouvait arrêter sur la pente fatale la masse en folie. Abandonnés par une armée que la propagande bolcheviste par en bas, et non moins sûrement les décrets de Kerensky par en haut, avaient disloquée, les officiers se déclaraient pour Kornilof quand le « Parleur en chef des armées russes » le trahit et le fit arrêter. Leurs sympathies pour Kornilof coûtèrent la vie à vingt mille d’entre eux.

Malgré toutes ses fautes et erreurs de jugement, il est le seul homme qui puisse rendre à la jeunesse russe la confiance dans les destins du pays. La Russie souffre surtout d’une terrible maladie de la volonté. Ce grain de folie qui caractérise les actions de Kornilof est justement ce qu’il faut pour dissiper les hésitations de ceux qui raisonnent trop et rendre aux esprits paralysés le mouvement et l’action. C’est dans les moments les plus désespérés que le Russe se ressaisit le mieux. Ce n’est pas son plus adroit politicien, c’est son plus brave soldat qui montrera à la Russie le chemin de la délivrance.


LE RÉGIMENT DE KORNILOF

Rostof, le 28 janvier/10 février 1918.

Mon compagnon de voyage, le sotnik[1] Gevlits et moi, nous sommes incorporés dans la compagnie d’officiers du « régiment d’attaque » de Kornilof. Notre nouveau chef, le capitaine Zaremba, nous fait installer deux lits dans la chambrée, où nous partagerons la vie et les repas de nos nouveaux compagnons d’armes. Dans une autre chambrée, les jeunes officiers et Cadets, qui sont arrivés avec nous, rasés et vêtus

  1. Lieutenant de Cosaques.