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actives et les plus désintéressées. » C’est avec eux qu’il voulait s’unir ; il allait bientôt adopter, pour son culte, les beaux chants du pasteur Bersier. Il aurait tant voulu qu’en venant prier chez lui, les protestants croyants se sentissent chez eux.

Carteret, tout d’abord, n’avait songé qu’à introduire dans le catholicisme un petit ver rongeur. Loyson venait fonder une église nouvelle, à côté de l’Église romaine, et le jour de Pâques il dit en français sa première messe. Donnons des bâtiments à cette Eglise-là : tel fut le mot d’ordre qui, dans les sphères radicales, circula. Loyson n’avait derrière lui qu’une poignée de catholiques, et le Grand Conseil se disposait à exproprier à leur profit la grande majorité, qualifiée d’ultramontaine. Conformément aux principes de droit canon dont s’inspirait Carteret, l’Etat voulut fixer de façon précise, au mois d’août 1873, l’organisation future de ce qu’il persistait à appeler le catholicisme. Tout ministre du culte qui aurait été ordonné dans l’Eglise catholique, quelles qu’eussent été ses destinées ultérieures, put, de par le nouveau projet de loi, devenir prêtre dans l’Eglise catholique nationale de Genève ; il faudrait qu’un quart des électeurs inscrits eussent voté, pour que ces curés et ces vicaires fussent reconnus valides. Un conseil supérieur, correspondant au Consistoire protestant, devait gérer dans ses détails la vie de la nouvelle Eglise dite catholique. Enfin, les églises et les presbytères demeurés propriétés communales devaient être affectés au culte salarié par l’État, ce qui voudrait dire bientôt : au culte catholique national. Les traitements des prêtres étaient grossis de plus du double : Carteret se flattait qu’un tel appât serait suffisant pour détourner du Pape les prêtres romains. « Coupez les cordons de la bourse, disait-il publiquement, et vous verrez comment le clergé arrivera à composition. »

On avait dit à Loyson, en le faisant venir : L’Église nouvelle sera ce que vous la ferez. Sa déception fut grosse. Le projet lui paraissait inadmissible : il prévenait l’un de ses amis qu’il se croirait obligé, si de pareils articles étaient votés, de dégager sa responsabilité par une lettre publique ; et, dans un discours à Berne, il appuyait sur la nécessité de ne pas persécuter les Romains et de ne point asservir à l’État l’Église nationale. Quelques signatures protestantes très respectées s’alignaient au bas d’une éloquente brochure qui condamnait ce projet d’attentat contre les catholiques romains : on remarquait, entre autres