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cette portion protestante de la nation n’était-elle pas fixée, délimitée, par l’Eglise elle-même ; il n’appartenait pas à l’Eglise d’attribuer ou de refuser aux citoyens la qualification de protestants ; c’était le rôle de la bureaucratie d’Etat.

Les âmes pieuses avaient vu le péril, mais en gémissant l’avaient accepté. La proposition de séparation entre l’Eglise et l’Etat, présentée en 1855 par le député Duchosal, avait eu peu de succès. Subitement l’on sentit progresser, entre 1865 et 1870, une théologie nouvelle, dite libérale ; en elle, rien de mystique, et presque rien de religieux. C’était une critique tenace, subversive, plus soucieuse d’offrir aux intelligences l’occasion de vaincre le Dogme que de chercher quelque façon subtile dont les âmes, même en le contestant ou en l’atténuant, pourraient encore se l’assimiler et en vivre. Cette théologie, pour asseoir son règne, voulut profiter du système majoritaire, qui, depuis 1818, décidait de tout, et l’on eut une Eglise où la vieille foi subsistait dans un groupe d’âmes, mais dont les autorités favorisaient officiellement les nouveaux courants théologiques.


I

L’histoire des conversions et l’histoire des défections sont fertiles en ironies : c’est de la Faculté libre de théologie, fondée naguère par un groupement d’âmes croyantes, que s’était évadé, en 1840, un des précurseurs du libéralisme incroyant. Scherer, entré, comme professeur, en 1841, dans cette pieuse institution, s’y était peu à peu senti gêné, et il avait cessé de croire. A la longue, il avait apporté dans ses négations le même intellectualisme impérieux que jadis dans ses affirmations ; pareille à un bûcher qui se consume lui-même, sa terrible raison, après avoir détruit sa foi dans l’inspiration littérale de la Bible, devait détruire sa foi dans la science théologique, puis sa foi dans la science tout court, et sa foi même, enfin, dans la possibilité d’avoir foi en quelque chose ; et Scherer, en 1860, avait quitté Genève, orientant vers la critique littéraire sa pensée désormais désemparée.

D’autres théologiens, sans pousser aussi loin les cruautés de la logique et sans cesser, eux, d’être des hommes d’Eglise, avaient pris comme tâche de transporter dans la théologie, dans l’Eglise, certaines de ces négations auxquelles