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que tout lien entre les grandes nations civilisées semble rompu. Un coup d’œil sur les grands journaux de modes des capitales d’Europe et d’Amérique permet de constater que le caractère mondial de l’évolution des modes subsiste. Les grandes lignes de l’élégance féminine sont les mêmes à Vienne et à Berlin qu’à Paris ou ù New-York.


Voilà des phrases bien tarabiscotées pour dire que les toilettes créées à Berlin et à Vienne valent celles de Paris. Quelques lignes plus loin, l’infortuné chroniqueur est obligé d’avouer qu’il « emprunte » à un journal parisien les éléments de sa causerie. (Chassez le naturel, il revient au galop.) On s’explique ainsi la persistance du caractère international des modes, car ce qu’on « emprunte » à Paris ne lui est jamais rendu, et la « ligne » à Berlin a de bonnes raisons pour ressembler à la « ligne » qu’on admire rue de la Paix. Le 31 mai 1916, dans l’article intitulé : va mode d’été, le chroniqueur casqué de la Gazette des Ardennes annonce :


Nous offrons à nos lectrices quelques modèles-types que nous empruntons au grand journal de mode Die Dame, qu’édite la maison Uelstein, de Berlin.


Les lectrices ne durent pas goûter beaucoup cette attention, car la rubrique de la mode n’est revenue que de loin en loin, et toujours avec un retard considérable sur « l’heure de Paris. » Aussi la Gazette des Ardennes, pour atteindre le foyer de famille de l’envahi, a-t-elle surtout compté sur son supplément illustré.

Ce supplément de huit pages est vendu quinze centimes. Si nous analysons, par exemple, le numéro du 1er septembre 1910, nous trouvons, en première page, une Vue de Péronne, et, au-dessous, le portrait « du plus jeune lieutenant de l’armée allemande, le prince Frédéric-Guillaume, entré dans l’armée à son 10e anniversaire. » En deuxième page, des « photographies » de permissionnaires français, se promenant, l’air mécontent, dans les rues de Paris ; puis un portrait de Metchnikoff. En troisième page, de nombreuses Vues de cimetières français, dans les régions occupées. En quatrième page : une « fantaisie : » la Lettre du poilu, avec les termes d’un argot conventionnel qui ne ressemble que de très loin à celui qui se parle dans les tranchées authentiques ; puis un Calendrier franco-anglais :