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bétonné de plus en plus profond avait succédé à la tranchée. Il était à prévoir qu’il tirerait parti, dans ce sens, de l’expérience de la Somme. D’où nécessité d’augmenter encore l’artillerie et d’élargir le front de l’attaque. Les programmes de fabrication en cours prévoyaient un matériel permettant d’élargir l’effort. La situation tactique était d’autre part devenue plus favorable. Les six mois de combats écoulés avaient creusé profondément la ligne ennemie. Le saillant de Noyon offrait un objectif commode. Attaqué à droite et à gauche, il devait tomber au premier choc. Bousculé sur 60 kilomètres, l’ennemi risquait fort de se trouver pris au dépourvu sur un point. C’est à préparer cette suprême tentative que les Alliés employèrent l’hiver de 1916-1917. La zone arrière du front depuis Arras jusqu’à l’Oise ne fut plus qu’un formidable chantier. Jamais les Alliés n’avaient apporté autant de méthode et de largeur de vues à la réalisation d’un plan aussi grandiose. Une armée de travailleurs édifiait des baraquements, construisait des routes, posait des rails. L’Allemagne eut la sensation que l’heure était venue du plus grand péril qu’elle eût encore couru.

À vrai dire, elle s’exagérait ce péril. Une défaite, cela signifiait alors une perte de terrain plus ou moins grande, une usure de divisions, un chiffre de prisonniers ; mais ni la force de l’adversaire n’en serait foncièrement ruinée, ni son armée détruite. Au lendemain de la victoire, le vainqueur s’arrêterait presque aussi épuisé que le vaincu. Mais il semble que, pendant trois ans, les belligérants aient fait d’énormes sacrifices pour la galerie des neutres qui les regardaient. Une défaite se traduisait par une baisse du change, une diminution des sympathies et de la confiance des neutres. Le vainqueur lançait à travers le monde ses « radios » triomphants, comme si, dans l’impuissance d’obtenir la victoire décisive, c’était dans l’opinion du monde qu’il fallait gagner la guerre. Pour l’Entente, qui travaillait à grouper de nouveaux peuples contre l’Allemagne, ce jeu était d’une grande importance. Pour l’Allemagne, il était également capital qu’elle décourageât d’intervenir, par le spectacle de sa force, les nouveaux adversaires que nous voulions lui susciter. En fait, ni d’un côté ni de l’autre, on ne trouve la certitude que les armes pourront avant longtemps résoudre le conflit. La seule conviction qui subsiste, c’est qu’il faut tenir, user, épuiser son adversaire.