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de prétention et de vanité bourgeoises. Le lit uniforme et égalitaire des siècles profondément chrétiens et monarchiques est remplacé par toute une variété de lits en bateau du temps de Louis-Philippe, plus ou moins ornés suivant la condition sociale du « votant ; » les murs nus d’autrefois sont tapissés de papier peint et l’on voit, sur des cheminées de marbre, des pendules à sujets, entre deux bouquets sous globe. A partir du dernier tiers du XIXe siècle, la triste décadence s’affirme de plus en plus. Aux peintures sur bois se substituent de vulgaires photographies. Mais ces ex-votos nouveau style sont toujours aussi nombreux que par le passé. La tradition n’est pas interrompue. Et c’est là une chose qui frappe quand on examine de près les murs du sanctuaire. Même aujourd’hui, alors que l’unanimité de la foi n’existe plus, les foules continuent à venir ici. Croyants et incroyants perpétuent la coutume des ancêtres. Ils sont fiers de leur vieille Madone et ils tiennent à lui rendre encore et toujours l’hommage séculaire auquel la piété des morts l’habitua.

J’eus le sentiment particulièrement vif de cette « continuité » catalane, en déchiffrant une inscription funéraire encastrée dans la muraille et à demi dissimulée par les ex-votos. C’est l’épitaphe de Pierre Sunyer, le fils de Joseph, le sculpteur de Prades, l’auteur du grand retable et du camaril. Sans doute le fils, comme le père, avait travaillé à embellir la maison de la Vierge cerdane. Il aura voulu dormir son dernier sommeil à l’ombre tutélaire de la Madone. Et, de cette épitaphe, simple et belle comme celle d’un maître maçon ou d’un maître imagier d’autrefois, mes yeux allaient vers la Vierge blanche du grand retable, l’œuvre du sculpteur Alexandre Oliva, de Saillagouse. Cet artiste, qui ne fut certes pas un dévot, a tenu à travailler, lui aussi, pour la Vierge des ancêtres, comme un bon ouvrier de son pays. Et voici qu’on me raconte ce trait d’un autre sculpteur catalan, Gustave Violet, de thuir, qui a déjà donné de belles œuvres à sa province. Assistant en simple spectateur à une cérémonie de Font-Romeù, que présidait Mgr du Carsalade du Pont, ce passant fut tellement saisi par la majesté des rites et l’austère beauté du visage épiscopal, qu’il voulut faire le buste de son évêque. Je ne sais rien de plus émouvant que cette fidélité des cœurs catalans au vieux sanctuaire de la montagne.