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aussi plus suggestive, plus documentaire. On y retrouve les coutumes anciens du pays. A côté des habits français qui distinguent les personnes de la classe noble ou aisée, on reconnaît ceux des montagnards et des villageois de la Cerdagne et de la Plaine. Il y a des justaucorps Louis XIV, des fanchons à la comtesse de Pimbesche ou d’Escarbagnas, mais aussi les culottes à boucles, les vestes courtes, les baratines rouges des paysans catalans. Les laboureurs sont engoncés dans des espèces de blouses ou de souquenilles, brunes et bourrues comme des robes de capucins. Les femmes ont le mouchoir flottant sur les épaules ou noué sous le menton, ainsi qu’elles le portent encore aujourd’hui dans toute la contrée.

Avec ces costumes, une foule de scènes locales ont été illustrées par ces peintres de village, des scènes qui ne se produisent guère que dans les régions montagneuses comme celle-ci. C’est, par exemple, le cavalier qui, en passant un gué, est emporté avec sa monture par une crue subite du torrent ; le voyageur qui route dans un précipice, ou qui, dans un sentier hérissé de rochers, est écrasé par un bloc erratique. Ailleurs, un bon ecclésiastique est en train de se promener dans la montagne, son bréviaire à la main, sans voir d’affreux brigands embusqués derrière le rocher, leurs bonnets rouges rejetés sur la nuque et braquant déjà de formidables tromblons. Un bon paysan avertit le bon prêtre du danger, auquel il n’est arraché que par la protection de la Vierge de Font-Romeù. Ailleurs encore, le bon prêtre ramène à des villageois un de leurs moutons qu’ils croyaient perdu. On voit les faces niaises des rustres coiffés de leurs « baratines » qui se pressent sur la porte de leur cabane et qui, de loin, contemplent le prodige. Le plus dramatique de tous ces faits-divers, c’est l’accident arrivé au Père dominicain, don Jacinto Coronas, prieur du couvent de Puygcerda, lequel, étant venu visiter le sanctuaire de Font-Romeù, « tomba d’un balcon élevé de 30 pieds au-dessus du sol et, grâce à l’intercession de la Vierge miraculeuse, se releva sans ressentir aucun mal. » L’Ermitage et le balcon sont peints minutieusement sur l’ex-voto, et le bon Père, tout raide dans sa robe blanche de dominicain, est représenté suspendu entre terre et ciel, les jambes écarquillées et les bras en l’air.

A mesure qu’on avance dans le XIXe siècle, ces scènes deviennent beaucoup moins naïves. Elles trahissent même une pointe